Le meilleur des trois (en même temps, c'était pas bien compliqué...)

Non, Le Hobbit : La Bataille des cinq armées n'est pas l'opus qui sauvera la trilogie d'un certain marasme artistique dans lequel elle s'est engoncée à mesure que les problèmes se sont accumulés. Il est néanmoins l'épisode qui offre les plus belles perspectives quand bien même les défauts sont là, bien présents, et sempiternellement répétés depuis Un Voyage inattendu. Les lignes qui vont suivre vous expliqueront pourquoi.

J'avertis par avance que deux-trois spoils seront nécessaires pour étayer mon point de vue, ils seront signalés par la balise [/SPOIL] et fermés par un [/NOSPOIL].

Tout d'abord, il faut avoir conscience que Le Hobbit partie 3 souffre d'un problème de découpage qui est avant tout dû au choix extrêmement critiquable de faire d'un livre de 200 pages un ensemble de trois films. Car même en ajoutant bon nombre d'éléments tirés du Silmarillion, les deux premiers films tiraient par moments en longueur et trop souvent de manière inutile. De fait, le dommage collatéral de la volonté mercantile d'attirer trois fois vos cartes bleues dans les terminaux de paiement est ce troisième film puisqu'il hérite de la bataille finale pour la possession d'Erebor et de ses richesses comme unique point d'orgue. Comprenez : préparez-vous à bouffer 1H30 de baston pour 2H30 de film. Dans le genre "déséquilibré", on s'approche donc des standards de Transformers, ce qui selon moi n'est franchement pas une bonne chose.
Et pourtant, étonnamment, ça marche. Oui, ça marche. Là où je m'ennuie sec devant un Transformers 3 et ses 2H de baston sur 2H30 de film, Jackson a su distiller ici et là des moments plus intimes, soit en montage parallèle, soit en montage alterné, au beau milieu d'une guerre qui engage pas moins de cinq armées. Une bonne chose donc, malgré un projet à l'origine bancal tant il fait perdre en dynamisme et en vigueur un récit qui n'avait pas besoin d'être rallongé jusqu'à plus soif.

Nous sommes tous d'accord sur au moins un fait : Le Hobbit n'a ni la carrure, ni l'envergure du Seigneur des Anneaux. Les films ont beau être bons, voire très bons, ils restent une déception immense tant on attendait vous comme moi trois films d'une qualité au moins équivalente à la trilogie initiale.
Au-delà de la question du découpage, l'échec relatif du Hobbit s'explique à mon humble avis en trois points essentiels : la mise en scène de Peter Jackson, les effets spéciaux, et la qualité d'adaptation. Mise en scène brillante et inventive dans Le Seigneur des Anneaux (lire ma critique sur La Communauté de l'anneau pour vous en convaincre) mais sans la moindre imagination dans Le Hobbit, sinon quelques séquences par-ci par-là ; "star wars effect" via les effets spéciaux tant les fonds verts sont employés à outrance dans cette nouvelle trilogie, rendant l'univers excessivement factice et trop peu crédible ; réécriture et ajouts de Peter Jackson, Philippa Boyens et Fran Walsh hors de propos, stupides, à l'opposé de l'univers créé par Tolkien.

Fort heureusement, Le Hobbit : La Bataille des cinq armées a la bonne idée de corriger deux (enfin presque...) des trois problèmes évoqués, ce qui en fait il me semble le meilleur des trois.

------ LA MISE EN SCENE

Pensez aux deux premiers Hobbit, et demandez-vous à quels moments le film vous a soufflé sur votre fauteuil. Personnellement, j'en vois très peu. Et c'est bien là le problème : là où les instants d'anthologie s'enchaînent dans Le Seigneur des Anneaux, Jackson se montre très peu inventif dans sa nouvelle trilogie, à croire que son génie s'est trouvé handicapé à cause de l'utilisation des EPIC digital cameras tant ses plans manquent d'élégance. En résulte deux films à la mise en scène outrancière, boursouflée, donnant l'impression d'un Jackson qui veut démontrer plutôt que montrer. Bah non mon pote, t'es pas James Cameron, et là on l'a bien vu.
En revanche, le troisième volet est étonnamment beaucoup plus sobre. L'introduction recolle avec le génie d'antan du cinéaste néo-zélandais, peut-être la séquence la mieux filmée de l'ensemble de la trilogie. [/SPOIL] L'attaque de Smaug sur Laketown est intelligemment réalisée, la violence de l'attaque montant en puissance à mesure que les maisons s'enflamment sous le souffle mortel du dragon au point de nous faire sentir la chaleur des flammes et la détresse des habitants pris dans un chaos organisé par des plans larges bien sentis en guise de tempo de l'ensemble de la séquence. Et cela jusqu'à ce finale qui voit Bard terrasser Smaug pour lancer le titre du film et in extenso la raison d'être du chapitre final : la convoitise des richesses d'Erebor [/NOSPOIL]. Par la suite, d'autres séquences se montreront intéressantes et riches de savoir-faire, mais dans l'ensemble le film deviendra étrangement modeste et dépouillé d'effets inutiles. "Etrangement" car on pouvait s'attendre à ce que Jackson retombe dans le travers du trop-plein auquel il s'est adonné depuis Un Voyage inattendu, mais ce n'est jamais le cas, ou presque. La sobriété de la mise en scène sert en fin de compte le film plus qu'elle ne le dessert, le rendant plus homogène, moins bouffi, et de fait plus apte à se centrer sur la narration. Il y a bien sûr les séquences (notamment celles avec Legolas) où l'impression que Jackson a un poil trop abusé de son amour pour God of War se fait sentir, mais dans l'ensemble il a su, peut-être par manque d'imagination, se calmer sur le côté emphatique. En résulte un film agréable à suivre.

------ LES EFFETS SPECIAUX

J'sais pas vous, mais moi, quand un film transpire par tous les pores l'objet artistique passé à la moulinette des logiciels d'effets spéciaux numériques, ça me donne envie de gerber. Ne rêvons pas : Le Seigneur des Anneaux en abusait déjà en son temps, notamment du logiciel Massive qui a permit de nous faire croire que des milliers de figurants s'envoyaient des épées et des haches à la tronche, mais il y avait un équilibre certain entre décors naturels, filmage en studio et fonds verts que Le Hobbit n'a jamais su trouver. Dès que la compagnie sort de la Comté dans Un Voyage inattendu, tout sonne faux et pique les yeux. Le flou autour des acteurs dû aux incrustations multiples, le côté sur-pigmenté des décors, les mouvements instables via l'effet d'escalier sur les acteurs recréés numériquement... Malgré leur budget pharaonique, Le Hobbit 1ère et 2ème partie font tout simplement cheap. Un comble ! La Bataille des cinq armées multiplie fort heureusement les séquences en décors naturels et en studio et atténue cette sensation, même si certaines séquences auraient mérité un plus grand soin de la part des Digital Composers. Entrer dans la fiction devient donc plus simple et moins pénible, mais on regrettera que l'homogénéité du Seigneur des Anneaux ne soit jamais pleinement atteinte.
Petite pique au passage : plutôt que de nous servir de la bouillie numérique comme on avale goulument les M&M's, les équipes des FX auraient mieux fait de faire plus attention à Dard qui, bizarrement, est tantôt bleue tantôt normale malgré la présence constante des orques durant la bataille. Simple petite remarque amicale les mecs :-)

------ L'ADAPTATION DE TOLKIEN

Là, hélas, pas de surprise. Jackson et son équipe restent sur la lancée des deux premiers volets et continuent de croire qu'ils peuvent "ajouter" plutôt que "adapter". Avoir eu la prétention de se croire aussi bon démiurge que Tolkien sur un univers qui ne leur appartient pas est assurément leur plus vilain pêché. Car autant l'idée de narrer chronologiquement Le Seigneur des Anneaux fut une bonne chose malgré un ou deux couacs (notamment la séquence de la Bouche de Sauron qui n'a pas le même effet dans le film que dans le livre), autant ajouter une elfette vivant une romance avec un nain tient de l'hérésie la plus profonde. Et je ne cite que cet ajout qui a déjà beaucoup fait couler d'encre depuis la découverte en 2013 de La Désolation de Smaug, mais soyez assurés que ce n'est pas le seul.
Néanmoins, histoire d'être le plus objectif possible, tournons autrement le problème. Un cinéaste, qu'on le veuille ou non, a le droit de changer comme bon lui semble un livre, et s'il souhaite réécrire plutôt qu'adapter, on ne peut lui jeter la pierre puisque c'est son oeuvre, sa vision. Qu'on adhère ou pas est un autre problème. Ce qui me gêne dans la démarche de Jackson est qu'il s'est perdu dans ses multiples réécritures au point de créer des coquilles là où il n'y en avait pas chez Tolkien. Je vais vous en citer une, peut-être la plus stupide que vous aurez à subir dans cette Bataille des cinq armées : [SPOIL] songeons un instant à la séquence qui voit Galadriel, Saroumane et Elrond sauver Gandalf sur le point d'être trucidé par un orque. A la fin, Galadriel utilise sa pleine puissance pour éjecter Sauron comme un fétu de paille loin de Dol Guldur. Bon, déjà, ça fait depuis la Communauté qu'on voit Galadriel péter une durite à certains moments sans que Jackson n'explique au profane de Tolkien pourquoi. Moi je le sais, mais parce que j'ai lu l'ensemble de l'oeuvre de Tolkien. Mais pour celui qui découvre l'histoire via les films, bon courage pour décrypter ce que signifie le halo blanc qui entoure la Dame de Lórien. Passons. A ce moment-là, elle dit très clairement et très distinctement à tous les personnages présents que c'était Sauron. Euh... What ?! Attendez, trouvez le frein et stoppez le train (Aliens, le retour stylz) : t'es en train de me dire Peter que les personnages sont au courant que Sauron est toujours vivant, qu'il est là, sur le point de faire son retour, et après tu dis faire tout pour que Le Hobbit colle avec Le Seigneur des Anneaux ? T'aurais pas oublié que quand le Seigneur des Anneaux débute, à part Saroumane qui a déjà été corrompu en partie via le palantír, personne ne se doute que Sauron est de retour ? Sinon pourquoi Gandalf s'est-il cassé la schcoumoune à faire des recherches au Gondor si c'est pour chercher quelque chose qu'il savait déjà ? Pourquoi semble-t-il pris de court, surpris, et aux abois quand il vient prévenir Saroumane en Isengard ? Alors certes, chez Tolkien, Gandalf s'infiltre dans Dol Guldur une première fois pour essayer de déterminer l'identité de son seigneur ; expédition qui se solde par un échec puisque l'occupant des lieux fuit dès l'arrivée du mage gris, et ce n'est que durant une seconde expédition en III 2850 qu'il pu découvrir que le mystérieux Nécromant n'était autre que Sauron. Mais là, on est pas dans les livres, et le début du Seigneur des Anneaux ne montre pas les choses ainsi [/NOSPOIL]. Bref, ça sent quand même le raccroc à l'arrache des deux trilogies, et la petite séquence finale entre Legolas et son père ne me fera pas démentir.
De plus, beaucoup de blancs se font sentir, et le problème d'avoir intégré le Silmarillion est que Jackson en dit trop peu alors que paradoxalement les films sont trop longs. Peut-être qu'une version longue corrigera le problème, mais il est certain que vous ressortirez de la version ciné de ce troisième volet avec la sensation qu'il manque quelque chose. Que ce soit autour de Galadriel et Gandalf, des raisons exactes qui poussent Thranduil à risquer une guerre ouverte avec les nains pour une simple "babiole", ou même de Saroumane.
En fin de compte, on pourra résumer tout ce que je suis en train de dire en une phrase : dans Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson a su trahir Tolkien avec intelligence ; dans Le Hobbit, il l'a trahit tout court. Trop souvent pour le pire, trop rarement pour le meilleur.

Tout ceci ne remet pas en question les bons côtés du film, et même si la démarche reste aisément critiquable, le plaisir de suivre les aventures de Bilbo est prégnant contrairement au second volet, de loin le moins réussi des trois. On s'amusera de voir un nain de guerre sur une monture un brin particulière, on appréciera voir Thranduil prendre les armes et utiliser sa monture façon "Révolution Française", et on acquiescera sans problème du talent de Ian McKellen et de Martin Freeman, ce dernier étant la meilleure trouvaille de la trilogie. Comme quoi, tout n'est pas à jeter aux orties !

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le 11 déc. 2014

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Kelemvor

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