Peter Jackson n'a pas son pareil dans le cinoche contemporain. C'est le génie le plus imparfait qui soit. Sa générosité dépasse celle de tous ses collègues. Et cette générosité jusqu'ici grisante vient de trouver ses limites. On pourrait dire qu'il a marché sur le fil durant toute sa carrière, que certains passages de la trilogie de l'Anneau flirtaient déjà avec le grand n'importe quoi et que Le Hobbit premier du nom était profondément annonciateur. Mais le véritable évènement qui confirma que la générosité de Jackson le mènerai inexorablement à sa perte c'est lorsque l'on appris que Le Hobbit serait adapté en trois parties. D'un côté comment ne pas être enjoué par cette annonce tant jusqu'ici cette générosité allait dans le bon sens. Mais c'est bien la crainte, la grande crainte qui subsista. Et qui se confirma en ce douloureux mois de décembre 2014, date de la chute du roi.


D'aucuns disent : "Il ne faut surtout pas comparer les deux trilogies Tolkien !" Moi je dis impossible. Et c'est uniquement la faute des scénaristes qui multiplient allégrement les allusions et rapprochements bidons. Ne serait-ce que la présence de Legolas confirme cela. Dans ce troisième épisode il prend plus de place que la grande majorité des nains, totalement réduits à des silhouettes sans valeur. Et comme comparaison entre trilogies il y a, rappelons que le finish du Seigneur des Anneaux représentait l'idéal absolu en matière de conclusion épique, émotionnelle et surtout scénaristique. Aucun de ces trois éléments ne se surpassaient l'un l'autre. Dans la Bataille des cinq armées c'est un capharnaüm, les scénaristes ne savant pas sur quel pied danser. Et après avoir annihilés dès les dix premières minutes 50% de l'intérêt de la saga c'était clair qu'ils feraient n'importe quoi. Oui car la mort de Smaug, l'impérial Smaug, celui pour lequel le second volet a été rallongé, celui sur qui les légendes pleuvent dans les deux sagas, le dragon aux dialogues acérés, aux coups de sang impressionnants, et bien sa mort dès l'ouverture du film jette définitivement un coup de froid sur le reste.


L'absence d'enjeux dignes de ce nom est incroyablement flagrante dans cet opus. Smaug mort, Thorin devient mégalo et envoie bouler tout le monde. L'Arkenstone en profite pour devenir la plus grosse blague de la saga puisqu'il disparaît dans la poche de Bard provoquant la colère de Thorin. Mais celui-ci l'oublie bien vite et le beau caillou bleu ne reviendra jamais dans l'histoire. Comme le dragon, l'élément avec lequel on nous bassine depuis l'intro d'Un Voyage Innatendu disparaît sur l'autel de la bêtise. Pour se concentrer sur les personnages me direz-vous ? Si seulement ! Les scènes montrant le tourment interne de Thorin sont expédiées avec une vitesse alarmante (et sont d'un écrasant mauvais gout) et tous les passages avec Gandalf ne sont que rajouts sans âme (à l'instar de Legolas, Tauriel, Fili, Kili et Thranduil). Quid du hobbit du titre ? Et bien il s'agit tout simplement de la plus grande victime du film. Faire-valoir, réduit au vol du caillou bleu qui sert à rien, il devient un second-rôle dans sa propre aventure. Cela se confirme par cette impression de ne pas avoir vu la prestation de Martin Freeman pourtant si éclatant dans les précédents volets. Mais pourquoi alors avoir fait tant de concessions (peut-être involontaires) ? Réponse : pour être généreux.


Peter Jackson fait virevolter sa caméra comme si celle-ci n'avait aucune limite physique. Il réalise les plans les plus improbables dans un enchaînement de scènes qui ne le sont pas moins. Les plus intéressants restant ceux concentrés sur Legolas. On pourra toujours reprocher au cinéaste d'en avoir trop fait mais force est de reconnaître que ces fameuses scènes (il voyage accroché à une créature volante ((hommage à King Kong ?)), puis il force un troll à foncer dans une tour et enfin il marche sur des briques en train de tomber) n'ont jamais été vues au cinéma et constituent en quelque sorte un tour de force. Très inspirées de l'univers du jeu-vidéo, elles en font malheureusement trop (Legolas qui marche sur les pierres en train de tomber c'est six plans là où un seul suffit !). Et pour ce qui est des passages du film où l'on en attend justement beaucoup (à savoir... la guerre !), ça tourne au vide complet. La bataille du titre se résume à l'arrivée spectaculaire des nains, à une belle intervention des elfes, à des vers géants (Dune !) et enfin au fameux Deux Ex Machina des aigles. On est très loin des champs de Pellenor. Ou du Gouffre de Helm. Ou de la porte du Mordor. Je veux bien que Jackson choisisse de se concentrer sur Thorin, Fili et Kili plutôt que l'affrontement massif mais enfin si la seule bataille de la trilogie est ratée... D'autant qu'encore une fois il n'y a pas d'enjeu.


Parlons technique maintenant. S'il faut bien reconnaître que les limites physiques des mouvements de caméra sont outrepassées et que c'est trop cool, la qualité des effets numériques apparaît quant à elle désastreuse. Comment, en 2014, alors que tout blockbuster qui se respecte tente de mettre en avant des effets numériques photo-réalistes, Le Hobbit peut-il oser montrer un visuel aussi laid ? Seuls Smaug et Azog sont palpables. Mais tout le reste pue le pixel à plein nez. La moindre brique, brindille ou pièce d'armure semble briller à l'écran. Tout, absolument tout, est retouché de manière considérable. Finis les somptueux plans naturels du Seigneur des Anneaux. Même Skull Island dans King Kong et ses décors de studio paraissait largement plus vraie. Les visages aussi y ont droit. Le plus parlant étant celui de Dain. Son arrivée à la tête de l'armée naine a beau être spectaculaire, les gros plans sur son visage semblent sortir d'une mauvaise cinématique. Et je reste choqué que toute cette horreur visuelle fasse parti des notes d'intention de Jackson auprès de Weta Digital. Car on ne peut décemment pas créer autant de merde sans l'avoir prémédité, surtout avec des génies du numériques comme Weta. D'ailleurs au passage Weta c'est aussi de la création de costumes, de miniatures, de décors. J'espère que les techniciens qui ont bossé d'arrache-pied (car c'est le cas, regardez les bonus des deux premiers opus) sur les éléments physiques et palpables du film ont vomis en voyant que leurs créations étaient largement enlaidies en post-prod.


Je n'ai pas envie de parler de Thranduil, dont La Désolation de Smaug laissait présager un personnage particulièrement retors au passé très trouble, et qui finalement devient cool comme de rien (et qui nous offre les pires répliques du film dont cette détestable référence à Aragorn). Je n'ai pas envie de m'étendre sur cette horrible mission sauvetage de Galadriel, Elrond et Saroumane, démonstratrice une nouvelle fois de la générosité de Jackson, mais totalement enlisée dans un fan-service misérable. Aussi je préfère ne pas prendre le temps de partager ma haine de cette histoire d'amour inter-raciale pathétique. Et enfin je ne me pencherai pas sur cette idée stupide comme quoi il faut attendre la version longue pour voir "le vrai film". Bien sûr que j'attends la version longue mais si elle comble les trous cités plus hauts, alors cette version courte constituerai la plus grande arnaque cinématographique que j'ai pu voir. Finalement il y a beaucoup de choses dans cette Bataille des Cinq Armées. Jackson est bien d'une générosité hors du commun. Une qualité qui empêche cette conclusion de saga allant decrescendo qualitativement parlant de prétendre aux mêmes louanges que son aînée tout en étant pas si détestable que ça (car étonnamment divertissante). En espérant que le cinéaste néo-zélandais rabaisse ses ambitions à l'avenir et se souvienne de ses débuts faits de rien... mais en fait de tout.

Aymic
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le 24 avr. 2015

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