Dire que Le Hobbit était attendu comme l'un des événements cinématographiques majeurs de 2012 relève du pur euphémisme. Près d'une décennie après la sortie de l'inoubliable trilogie du Seigneur des Anneaux, véritable fantasme accompli du cinéma d'aventure, on guettait avec fébrilité le retour de Peter Jackson en Terre du Milieu, les rétines ivres d'espoir, celui de se replonger dans un univers audiovisuel de rêve, univers dont aucun autre film du genre n'est parvenu depuis à égaler l'ambition démesurée, le pouvoir d'enchantement proprement renversant.

Dire que le désarroi total provoqué dans nos âmes de cinéphiles épris de merveilleux par la vision du Hobbit se révèle d'une douleur proportionnelle à nos attentes tient néanmoins du même euphémisme. A l'instar d'un Ridley Scott sabordant son Alien originel avec le piètre Prometheus ou des dirigeants criminels des majors crachant allègrement sur nos films fétiches à grand renfort de suites et de remakes honteux (Die Hard 4, Predators, The Thing, Total Recall : Mémoires programmées, ou encore Conan, pour ne citer que les plus récents), Peter Jackson nous livre contre toute attente avec son Hobbit une resucée à peine cachée du Seigneur des Anneaux, qui plus est sur un ton parodique du plus mauvais goût.

Pêchant probablement par une trop grande fidélité au roman dont il est adapté, Le Hobbit se complaît vaille que vaille dans une logique de reproduction purement illustrative. La mise en scène, d'une platitude inhabituelle chez Jackson, ne parvient jamais à transcender son intrigue, étirant jusqu'à l'ennui le plus abyssal des séquences anodines, d'un intérêt dramatique proche du néant, à commencer par l'ouverture du film, où l'on assiste en temps réel à un interminable festin de nains dont le climax repose – je n'invente rien – sur le nettoyage chorégraphié et chanté de la vaisselle ! Cette trivialité inaugurale, que l'on espère à ce moment-là seulement passagère, se déploie alors, sous nos yeux incrédules, sur l'ensemble du film. Brochette mal caractérisée de personnages dépourvus de tout charisme (même Gandalf semble relégué au rang de figurant), tunnels de dialogues sans saveur aucune touchant parfois à l'ineptie (parlure « bisounours » des nains, pourtant réputés pour leur rudesse...), platitude d'un montage qui n'assure que le minimum syndical du découpage filmique, innombrables facilités de scénario, musique d'accompagnement basique étrangement dépourvue de thèmes identifiables, effets spéciaux et maquillage souvent hideux (apparence involontairement comique de la majorité des nains, d'un roi des gobelins au menton couillu ou encore du grand méchant, orc de pixels tellement bâclé qu'on le croirait littéralement débarqué de la franchise fauchée des Resident Evil), prises de vues tout juste dignes d'un gameplay de jeu vidéo, batailles pompées sur celles de 300 (le sang en moins)... Le ratage artistique est une torture permanente, à l'opposé radical des intentions pourtant évidentes de Jackson, bien que le bougre prétende le contraire : coller coûte que coûte à l'univers du Seigneur des Anneaux.

Reprendre le même casting et les mêmes décors, aussi superbes soient-ils, ne suffit cependant pas à créer une cohérence. Encore faut-il parvenir à retrouver l'atmosphère, l'âme de la trilogie fondatrice. Pétard mouillé de quelques centaines de millions de dollars, comme la plupart des nanars actuels à gros budget qui s'autoproclament blockbusters, Le Hobbit ne possède malheureusement aucune espèce d'atmosphère et encore moins une âme. Quand on saborde l'intimisme qui faisait la puissance paradoxale du Seigneur des Anneaux en se vautrant dans une surenchère d'effets numériques torchés en deux coups de pinceau graphique, quand on s'attache à infantiliser jusqu'au délire un récit déjà destiné aux plus jeunes (suppression pure et simple de tous les aspects les plus effrayants de la Terre du Milieu : le Roi Sorcier d'Angmar représenté sans cape noire, Gollum rendu plus mignon, les nains moins bourrus...), on accouche d'une chimère, d'une aporie monstrueuse, d'une épopée sans souffle qui rêve (pas si) secrètement d'atteindre les cimes de son modèle, sans jamais parvenir à son illustre cheville.

Le cul constamment entre deux chaises, incapable d'assumer la légèreté de ton du Hobbit ou, au contraire, la puissante gravité du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson se fourvoie dans un pastiche hybride et grotesque de son chef-d'œuvre en trois actes en allant jusqu'à s'autoplagier (copié-collé de la séquence de la Moria, de la traque à travers les plaines du Rohan...), croyant naïvement pouvoir maquiller les limites de son projet sous des oripeaux pseudo spectaculaires, à l'image de la séquence aussi inutile que ridicule des géants de pierre, croisement improbable de Transformers et du jeu vidéo Shadow of the Colossus, conçue dans l'espoir gratuit d'en mettre plein la vue. Sans oublier la ribambelle délirante d'effets foireux (arbres s'effondrant en chaîne tels des dominos, pommes de pin explosives, Bilbo se cachant derrière un tronc alors qu'il est invisible...) et d'incohérences crasses (l'Anneau unique est devenu un joujou en plastoque inoffensif qui fait apparaître un joli petit filtre grisâtre devant l'objectif de la caméra quand on le met au doigt, Sauron s'étant fait la malle on ne sait où...) que Le Hobbit vient vomir sur nos rétines avec une maladresse qui frise le pur génie. Au fond, Peter Jackson parvient à nous prouver une chose : lorsqu'il rate un film, il le rate avec toute la démesure et la générosité qu'on lui connaît, il nous livre un véritable chef-d'œuvre de nullité, que tous les tâcherons d'Hollywood auront bien du mal à surpasser.

Seulement, face à tant de cynisme créatif, on finit par s'interroger, le cœur étreint d'une tristesse infinie, sur la légitimité même du Hobbit. Le soi disant investissement passionné de Jackson, clamé par une presse consensuelle et défendu par une horde de fans aveugles, apparaît comme une bien mauvaise blague pour peu que l'on se penche sur l'échec constitutif du film et ses symptômes, aussi bien formels que substantiels. Le Hobbit ne relève certainement pas du désir sincère d'un cinéaste de prolonger son œuvre, mais bien de la lubie cupide d'une poignée de sinistres pingouins traquant partout la moindre promesse de profit commercial, coupables du nivellement par le bas de notre cher 7ème Art via la destruction immonde de nos plus grands fantasmes de cinéma. Du haut de son budget pharaonique et peut-être aussi à cause des espoirs fous qu'il avait suscités (les valeurs sûres à Hollywood ne le restent pas forcément...), Le Hobbit s'avère être une déception aussi colossale que douloureuse, parmi les plus regrettables et les plus inattendues de cette fade année 2012. Et dire qu'il s'agit du premier volet d'une trilogie...

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le 26 déc. 2012

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