Les jeunesses croisées de Karl Marx, chassé de Trèves par le pouvoir prussien et réfugié à Paris, et de Friedrich Engels, fondé de pouvoir de son père, propriétaire d'une filature anglaise où les ouvriers perdent leurs doigts comme un rien. Ils finissent par se rencontrer. S'avouent leur admiration. Engels encourage Marx à lire Ricardo et Smith. Décident, après une soirée bien arrosée, d'écrire un ouvrage pour clouer le bec aux derniers hégéliens. Echappent à la police. Rencontrent Proudhon. Rencontrent Weitling. Dépassent et ringardisent ces maîtres. Bricolent leurs couples respectifs. Inventent la première Internationale. Le film s'arrête lorsqu'ils sont à l'entrée de l'âge adulte, s'apprêtent à partir pour Londres, où Marx écrira le Capital.
La reconstitution des intérieurs est soignée. Le film est trilingue, comme ses protagonistes, qui changent de lanque plusieurs fois dans la même conversation.
Evidemment, le principe du film étant de montrer l'amitié de deux hommes qui aiment écrire des livres ensemble, il a bien fallu dramatiser. Cela passe par quelques scènes un peu forcées (l'arrestation, la poursuite pour semer les gendarmes, la confrontation avec un odieux capitaliste sur le seuil du manoir Engels, toutes les intrigues concernant Proudhon et Weitling). Pourquoi pas.
Ce qui est fort, c'est que les deux personnages, fort attachants, sont ambivalents, dans la mesure où ils détruisent ceux qui ont ouvert la voie. Mais cela fait avancer leur cause. Assez intelligent.
Il y a deux choses que je n'ai pas aimées, hélas.
Le cauchemar récurrent de Marx sur des paysans qui ramassent du bois et vont être tués par des salauds d'exploiteurs à cheval. Scène réutilisée une seule fois, inutilement lourde et ampoulée.
La représentation de la lutte des classes, de manière générale, est sans nuance. Le patron dit clairement : "je vais vous virer si vous n'êtes pas contents", les ouvriers baissent la tête. Je suis certain qu'en terme de violence, il y avait moyen d'être à la fois plus suggestif et plus efficace.
Cela résume ce que je pense de ce film, au demeurant sympathique (à l'image de ce brave Engels si flegmatique !). Il est bien fait mais pas mémorable. Le générique de fin, avec la musique de Dylan et les actualités du XXe siècle, était une bonne idée sur le papier, mais elle manque un peu de punch.
Ce qu'il manque à ce film, qui montre bien des jeunes gens énervés, c'est d'être lui-même un peu plus énervé. Peut-être le réalisateur ne voulait-il pas perdre de spectateurs en route.
Mais ce sera pourtant le cas, j'imagine. J'ai un peu de mal à avoir une opinion à ce sujet. La salle était correctement remplie. J'ai apprécié le film, mais parce que je savais déjà quels moments il allait aborder, pour moi je trouvais un plaisir à deviner à l'avance ce qui allait se passer. Sans doute tout le monde n'est pas dans le même cas, et j'ai peur que les discussions enflammées contre les hégéliens passent au-dessus de la tête de certains.
Un film sympathique, au fond.