"On peut nier une fois mille fils, mais pas mille fois son fils...Non c'est l'inverse...!"

Par OhCaptainMyCaptain.



Le Juge. Un film avec Robert Downey Junior, acteur que j'admire, que j’idolâtre, sur le milieu du droit, ça sentait tout de suite le film fait pour votre serviteur . Pourtant, il a su me marquer pour bien d'autres choses, réussissant à dépasser ce postulat. J'étais loin de m'imaginer que le film allait passer sur moi comme une tornade. De même, le film avait su me titiller surtout pour le « choc » des héros, cette rencontre entre le Sherlock Holmes des années 2000 et le Dr Watson (Robert Duvall) des années 70, qui donne cette saveur si anecdotique à l’œuvre.

RDJ a clairement porté le film, on ne peut pas le nier. Cependant, bien lui en a pris, il a réussi à avoir suffisamment de recul pour ne pas s'autoproclamer réalisateur, chose que trop d'acteurs font lorsqu'ils adaptent un projet à l'écran. Il est resté dans son rôle d'acteur, et a seulement co-produit avec sa femme le film, histoire de veiller à la bonne adaptation de l'histoire.



L'histoire donc. Henry « Hank » Palmer (Robert Downey Jr) est un avocat pénal d'affaires à Chicago, dont l'essentiel de son activité est de « sauver » des dirigeants d'entreprise ayant fraudé avec leur société. Il est unanimement reconnu, et fait partie des avocats « bankables » du barreau de Chicago . Il a une petite famille (femme mannequin et une jeune fillette) sur le point d'imploser quand tout bascule et qu'il apprend que sa mère est décédée. Il se voit donc obligé de revenir dans sa ville natale pour l’inhumation, alors qu'il avait coupé tous les ponts avec sa famille (dont ses deux frères, interprétés par Vincent d'Onofrio et Jeremy Strong). Il se retrouvera cependant bloqué sur place puisque son père, Joseph (Robert Duvall), qu'il a toujours déçu, se retrouve suspect numéro 1 dans une histoire de meurtre d'une vieille connaissance de la famille Palmer.



Si une petite critique pouvait être émise dès à présent, c'est que la phase d'exposition d'Hank à Chicago est peut-être un peu trop courte pour que le spectateur comprenne la personnalité que l'avocat s'est crée sur place. Maintenant, le film faisant déjà 2h20, il est légitime de penser que s'il fallait couper quelque part, c'était bien le moment le plus propice .

Le film est indubitablement bien réalisé . Le procès, objet du film, est bien rythmé, orchestré, l'affaire est haletante, on ne distingue jamais le vrai du le faux, ce qui rend l’atmosphère du film très pesante. D'autant plus que certains éléments juridiques relevés par Hank pour sauver son père entraîneront des dilemmes. Et c'est là on intervient tout le talent du réalisateur David Dobkin. Il réussit à intercaler dans chaque phase du dossier des moments qui permettent, aussi bien à Hank qu'aux spectateurs, de souffler, s'aérer, sortir du procès pour rire aux éclats ou pour vivre des moments touchants. Pêle-mêle, les trois frères se retrouvent pour parler de leurs moments familiaux, Hank a des flash-backs de souvenirs d'enfance, retombe en enfance en faisant des gamineries, retrouve des amis d'enfance, explique à sa fille son enfance ou tout simplement se rapproche (un peu) de son père... Le spectateur sourit, rit même, a la larme à l’œil, mais dans tous les cas, ces moments font un bien fou.



Concernant la musique, un grand bravo à Thomas Newman, fils de, frère de, et neveu de. La musique brille par sa présence, en accompagnant le spectateur parfaitement, aussi bien dans les moments tristes et dramatiques, dans les moments drôles, nostalgiques, émouvants, de tension, de fierté... Par exemple, la musique rythmée du début du film à Chicago correspond parfaitement au rythme effréné du milieu des affaires chicagoan. Et que dire du choix de cette reprise du Scientist de Coldplay par Willie Nelson pour le générique de fin... Elle sent bon le fin fond de l'Amérique profonde et donne l'impression que Robert Duvall chante lui-même la chanson, les paroles collant parfaitement. La musique brille également de par son absence. Que dire de ce silence pendant le trajet de Hank de Chicago jusqu'à l'Indiana, se calquant parfaitement sur ce moment si caractéristique de solitude intérieure lors de ce genre d’événements. La transition est parfaite, le silence passe à la musique triste quand le personnage se rend compte finalement des conséquences, puis redevient plus joyeuse quand celui ci arrive dans sa ville natale, en ébullition, comme si tous ses souvenirs d'enfance revenaient d'un coup à la surface . Pour enfin retomber dans le silence quand il voit le cercueil ouvert de sa mère.



Arrêtons-nous un moment sur le point le plus important du film, cette confrontation entre Robert Duvall, le père, et Robert Downey Junior, le fils. Nous reviendrons plus loin sur les performances individuelles, mais il est important de se concentrer sur la relation du duo explosif. Le réalisateur a réussi l'exploit de faire cohabiter deux immenses acteurs sans qu'aucun des deux ne « mange » l'autre. Le film tient donc sur ce lien si particulier qu'entretient un père et son fils. Dans ce film, il est tellement pourri jusqu'à la moelle que cette relation a contaminé tout le reste de la famille, forçant Hank à couper les ponts avec ses deux frères, et ce bien qu'il soit resté bienveillant à l'égard de son frère Dale, un peu attardé. Le réalisateur a d'ailleurs immortalisé ce sentiment d'emprisonnement des deux frères dans la relation envenimée de Hank et du père. Lorsque ceux-ci sont dans une voiture sur une route de campagne, la discussion dégénère, poussant Hank et Joseph de partir chacun de leur coté en s'insultant. Ils laissent, involontairement, les deux frères dans la voiture au milieu de l'écran, tristes, énervés, impuissants face à cette situation.



Pour revenir au père et au fils, leur relation est des plus compliquées. Joseph semble complètement ignorer son fils, qui souffre de la situation. Le père est chaleureux avec tout le monde sauf avec lui (et dans une moindre mesure, ses autres fils, qui l’appellent « Monsieur » pour le taquiner, ce qui veut tout dire), et tente donc de lui faire des appels du pied : les trophées de sport, major de promo à l'école de droit... Après cet échec, il passe à un registre révolté pour se faire remarquer, ce qui semble plus affecter son père. Dans tous les cas, les deux se ressemblent énormément, leur seule différence est dans la « gestion » de leur paternité. Si Joseph est froid, Hank est un vrai papa poule avec sa fille. Preuve en est de leur ressemblance, Joseph est finalement un vrai papy idéal et impliqué avec la fille de Hank. Et pourtant, Joseph est exécrable avec son fils. Non seulement il ne montre pas sa fierté, mais il débine son fils en le qualifiant d'avocat véreux et en refusant de le charger de sa défense dans un premier temps. Les seuls moments où il ne traite pas son fils comme un enfant, c'est les moments de discussions et de dissertations juridiques où les deux se plaisent à partir en envolées lyriques.



Bien entendu, Joseph acceptera finalement la défense de son fils (après une illustration parfaite de la lutte petit cabinet d'avocat/gros cabinet et des diplômes d'université), par une petite pirouette juridique : un contrat. A première vue cela peut sembler être un clin d’œil lourdingue au droit. En vérité cela cache un raisonnement plus poussé. D'une part psychologique pour les deux personnages, mais d'autre part symbolique et théorique du droit (le contrat est une obligation juste). Ce n'est d'ailleurs pas les deux seuls clins d’œil au monde juridique (ce qui est légitime), et si je ne vous referais pas un laïus comme pour 9 Mois Ferme, notez cette belle scène rapide et humoristique sur le choix des jurés, qui peut vous sembler anodine et marquée par la personnalité de RDJ, mais qui est finalement très proche de la vérité. De même, le réalisateur glissera au passage une petite critique de l'institution judiciaire américaine, où les procureurs sont élus par le peuple, en y dénonçant le glissement politique de ces derniers.



Enfin, il est nécessaire de souligner que jamais le film ne tombera dans les stéréotypes. Si le père et le fils vont nécessairement se rapprocher, cela se fera progressivement, avec des hauts et des bas (dont une confrontation salvatrice pendant la tornade, encore un beau moment de réalisation). Le tout sans jamais que l'un ne devienne le père idéal (il va certes montrer plus d'attention envers son fils, mais pas trop, et avec de la gêne) et que l'autre ne soit un fils épanoui (il s'assagit et de se rapproche de sa famille mais ne devient pas un enfant de choeur). Mais cela permettra d'agrémenter le film de nouvelles scènes très touchantes et criantes de réalisme. Surtout, le scénario ne tombe pas dans le cliché auquel on aurait pu attendre, à savoir le fait qu'il quitte tout et qu'il vienne se remettre à exercer dans la ville natale et épouser son amie d'enfance. Enfin, lorsque le film nous dévoile la raison, l'essence même de cette situation de conflit familial, on ne peut qu'applaudir l'originalité, la façon de le jouer, et la pertinence de l'élément déclencheur. La fin est pour le moins inattendue et le plan final, pleine de symbolique et bien dosée dans l'émotion, dans la maison puis dans le palais de justice peut faire verser une petite larme aux spectateurs les plus sensibles.



Concernant les acteurs, Robert Duvall, multinominé et lauréat aux Oscars, a réussi là où Robert De Niro a détruit son image, à savoir une reconversion, la retraite arrivant, dans des personnages toujours forts mais plus vieux. Je me permet le parallèle car ces deux hommes ont magnifié des rôles de gangsters. Il arrive à jouer avec brio ce père autoritaire, sévère avec ses fils, surtout Hank, et pourtant si sociable et chaleureux avec les étrangers à la famille, avec un humour si touchant dans le deuil, et si aimant de sa petite ville, de sa société, de sa vision si respectueuse et idéaliste du monde. Maintenant, je n'avais pas voulu évaluer la performance de Ian McKellen et de Patrick Stewart de par leur grandeur, dans ma critique de X-Men : Day of Future Past, je vais ici faire de même et m'abstenir d'analyser son jeu d'acteur et m'incliner devant son talent. Sachez une chose seulement, s'il avait été mauvais ou un ton en dessous, je l'aurais sans aucun doute relevé .

Hank n'est pas un ersatz de Tony Stark, comme on aurait pu l'imaginer avec la bande annonce et le topo du film. RDJ s'essaye cette fois ci à un registre plus adulte qu'Iron Man et Date Limite, et plus ancré dans le réel que son Sherlock Holmes, et il faut avouer qu'il a réussi à transformer l'essai. Il a été touché par l'histoire, et arrive à nous le transmettre à l'écran. Bien qu'il garde cette patte d'insolence, de charisme et d'improvisation, sa marque de fabrique, il se fond à merveille et avec une sincérité désarmante dans ce rôle d'avocat brillant, avant tout fils incompris et ignoré de son père. Il est très à l'aise dans les plaidoiries d'avocat, comme une seconde peau, et joue à merveille tous les sentiments qui pleuvent sur lui. Notamment cette sensation difficile à faire transparaître aux spectateur d'être touché, voire démoli, sans le montrer à sa famille.



Pour les acteurs secondaires, le casting est vraiment cinq étoiles et à la hauteur des deux grands. Billy Bob Thorton campe à merveille le procureur zélé voulant taper le juge moralisateur-menteur et l'avocat arrogant et roublard. On retrouve également Vera Farminga dans le rôle de l'amie d'enfance, Samantha, très convaincante dans le dégoût et l'amour qu'elle porte à l’égard de Hank. La performance de Vincent d'Onofrio, sortant de son registre, est également à saluer, très bon dans l'interprétation du frère aîné médiateur, emprunt d'admiration, de tristesse et de rancœur envers son père et son frère Hank.





Nous sommes donc devant un film qui a fait l'unanimité chez la critique et qui pourtant (pour l'instant) peine à tenter le public français. On ne peut cependant que se ranger de l'avis de la critique, puisque vous sortirez complètement retournés de cette expérience, prouesse dans la réalisation et dans l'écriture, et magnifiée par le jeu des acteurs. Puisque c'est bien la dimension humaine qui fait l'atout de ce film, plus qu'un procès haletant et bien orchestré dont il fait l'objet. C'est l'histoire « de l 'égoïste le plus généreux, le plus grand emmerdeur qui détestent les emmerdeurs » sur les traces de son père, à la recherche de sa reconnaissance. A voir, et à revoir.
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le 27 oct. 2014

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