Quatre années ont passé mais Griffith semble encore ici s'atteler à l'exorcisation des accusations de racisme qu'il garde depuis 1915 et "Naissance d'une nation". Loin, très loin de la fresque monumentale "Intolérance" qui consacrait, dans un de ses récits enchâssés, la chute de Babylone dans toute sa splendeur, il semble qu'il ait fait le choix d'une autre voie, d'un autre segment. Un discours plus intimiste, plus mélodramatique, qu'il approfondira à nouveau en 1920 à l'occasion du célèbre "À travers l'orage" (Way Down East). Ici, dans les décors d'un quartier londonien pauvre, c'est l'évolution d'un triangle de relations qui l'intéresse, un affrontement entre trois personnages : Battling Burrows, un boxeur alcoolique et violent qui maltraite sa fille, Lucy (interprétée par Lillian Gish), et un jeune chinois, Cheng Huan, timide commerçant du quartier qui tient une boutique d'antiquités depuis son émigration et dont la dévotion se déplacera vers la jeune fille, le lys brisé.


La démesure et l'ampleur des œuvres passées semblent donc bien loin. En se concentrant sur la relation délicate entre une jouvencelle effarouchée et un Chinois ("the yellow man" dans les intertitres...) venu prêcher la parole de Bouddha aux Anglais, l'objet est tout autre. Griffith se focalise sur l'expressivité de son actrice principale, sur la damnation de son personnage, et sur le glissement opéré dans le regard que le spectateur (d'alors) porte sur ce Chinois : d'inquiétant asiatique (et donc étranger) fumeur d'opium, il deviendra in fine la clé de voûte d'un amour universel opposé à la brutalité et au racisme du père. Quelques gros plans fascinent par leur originalité et par leur caractère proprement effrayant (lorsque le père s'apprête à battre sa fille, poings serrés et levés, regard caméra), mais dans l'ensemble le film ne fait pas preuve de l'ambition et de l'audace formelle des chefs-d'œuvre passés. On peut aussi relever une forme de retenue dans les moyens mis en œuvre, une forme de simplicité thématique, qui rendent difficile, à titre personnel, une implication émotionnelle pleine et entière.


[Avis brut #72]

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le 22 mars 2016

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Morrinson

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