Aouch : une éternité que je n'avais vu ce film! Bizarrement, je lui trouve des airs plutôt sympathiques, alors que j'ai toujours eu un regard un tantinet dédaigneux, pour cette période dans la filmographie de Belmondo.


Aujourd'hui, le film me fait penser au cinéma policier italien des années 70, un cinéma qui dépeint une pègre pittoresque par ses caractéristiques très françaises avec toutefois une fascination finalement grotesque pour la culture américaine de l'auto-défense. Je pensais aux polars avec Franco Nero ou Tomas Milian, mais bien entendu ce cinéma italien est lui même, comme le français, fortement tributaire de l'obsession hollywoodienne. Tout ce petit monde européen a les yeux tournés vers l'ouest et Belmondo comme les autres prend des airs de justicier eastwoodien ou bronsonien en fin de compte. Même Delon va s'y mettre.


Malgré ses clichés en pagaille, que ce soit chez les putes, les camés, chez les homosexuels ou les flics, malgré ses stéréotypes qui prêtent volontiers à rire de nos jours, le film garde un ton sérieux qui parfois vire à la gravité. Fragile, le film l'est dans le fonds.


Mais ce qu'il perd en crédibilité, il le gagne en tension. Les séquences d'action, sans être époustouflantes, sont quelquefois intenses et tiennent en haleine. Les petites bastons débordent un peu, mais les poursuites ont du nerf. La musique de Ennio Morricone impose également quelque chose d'inattendu : pour moi, une atmosphère poisseuse, malsaine que le héros joué par Belmondo semble impuissant à dominer.


Surtout, il est seul. Sa révolte le marginalise comme le titre nous le rappelle avec facilité, mais elle assure le spectacle. On est vraiment dans la veine du film viril réactionnaire comme les années 70 l'ont inventé.


Je suis partagé sur le jeu de Jean-Paul Belmondo. Il est grave désormais. L'humour y est manié avec parcimonie et du coup, il devient difficile de sentir chez l'acteur le plaisir de jouer. Un Bébel qui tire la gueule, ça fait bizarre et de fait, cela impose une certaine forme de tension. Mais on ne peut s'empêcher de se demander s'il prend plaisir à faire ce genre de cinéma. Quand il impose sa petite copine (Carlos Sotto Mayor), ne délivre-t-il pas un message peu enthousiaste ? Par dessus la jambe ? D'un autre côté, quand on regarde la distribution, on voit qu'il y a pas mal de "copains" de Belmondo (Vernier, Brosset, Dumas, Auzel), ce qui reviendrait à dire qu'il aime surtout à s'entourer aussi professionnellement qu'affectivement sur des productions Cerito qu'il dirige. Parvenu à un âge où il peut se permettre de prendre ses aises, Belmondo se laisse guider par ses émotions. Peut-être un peu trop? Peut-être ses exigences se sont-elles émoussées ?


Quoiqu'il en soit, le film garde un aspect un peu hétéroclite : à la fois couillu, âpre, sans doute même amer avec un regard dur sur la société française, mais également une allure un brin artificielle, morcelée, avec un échafaudage brinquebalant, vite fait, pas toujours bien fait. Certaines scènes en effet semblent bricolées à la convenance des événements, pour mieux faire briller la star, donc au détriment de la cohérence scénaristique.


Au final, je ne sais pas si j'aime bien ce film, si c'est la nostalgie d'une époque révolue, comme un sentiment de souvenir qui m'en laisse un goût sucré. J'avais 10-12 ans quand ce film est sorti et que je le veuille ou non, il fait partie de mon apprentissage du cinéma, parce que Belmondo y est une figure centrale, presque paternelle qui m'a fait aimer le cinéma.


Techniquement, la réalisation de Jacques Deray est intéressante, notamment dans le nerf qu'il y met. Les scènes d'action avec les cascades de Belmondo sont pas trop mal fichues et peuvent encore épater, surtout quand on songe en comparaison aux câbles et fonds verts bien commodes d'aujourd'hui.


Avec son rythme sur courant alternatif, le film se regarde gentiment, mais je me demande s'il peut de nos jours émoustiller quiconque n'a pas vécu à cette époque.

Alligator
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le 20 avr. 2016

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