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The New World... une histoire de colons, de rêves, de voyages et de désillusions, si on devait présenter cela sommairement (ce qui, comme tout film de Terrence Malick, est impossible, j'en ai peur). Un générique d'anciennes cartes colorées, une poignées de plans sur l'Or du Rhin de Wagner, une aurore, et nous voilà transporté sur un autre continent, une autre époque et, en vérité, un autre univers, celui d'un grand réalisateur. Tout part de rien. Une simple nature, d'abord. Grandiose et impassible. Puis un homme, Christopher Plummer, le regard serein, pétillant d'espoir et de confiance, qui arrive sur de grands voiliers britanniques à l'aube du XVIIe siècle. L'acteur vétéran, l'Anglais qui a vu bien d'autres contrées, pourtant insatiable de découvertes. Accompagné d'un équipage de soldats, de marins et même d'enfants, il fonde Jamestown sur une côte verdoyante de Virginie au nom du roi d'Angleterre. Quelques indiens powhantas vivent en ces lieux mais les premiers contacts sont pacifiques. La fascination est réciproque mais des priorités s'imposent aux Anglais : construire, préparer, gérer le fort. Et l'avenir est radieux pour Jamestown. La terre est riche, les autochtones curieux et pacifiques, loin d'être effrayés, les hommes motivés... Tout bascule vite, presque naturellement, sans qu'on ne s'en rende compte.

Comme des papillons de nuit attirés par une lanterne envoûtante et lumineuse, les powhantas veulent voir, sentir, et toucher, prendre. Un simple objet. On a essayé de les prévenir calmement, mais ils vont trop loin : les insectes ont voulu goûter cette lueur, et se sont brûlés. On ne prête que pour rendre à Jamestown, et on ne prend quelque chose que contre autre chose de même valeur ; si les indigènes refusent de le comprendre, il faudra se passer d'eux. Un coup de feu, et la curiosité devient peur, l'attirance devient méfiance. On s'éloigne de ces hommes venus de par-delà l'océan. L'homme d'Angleterre, Plummer, est pourtant clair, expérimenté ; un bon chef, qui lui-même un jour fit des erreurs, sans doute. Mais tous ces hommes dans le Nouveau Monde, au milieu de tant promesses... La liberté, flamme branlante, éclairant le bout de leurs doigts ! ils sentent la force palpiter. Ils représentent le roi et obéissent à leur chef, mais sont désormais les maîtres d'eux-mêmes. La discipline n'a pourtant flanché qu'une fois, et sur le navire : John Smith, l'homme sans nom, le Capitaine, le seul soldat, et le seul hommes aux pensées rebelles. Colin Farrell, un jour Alexandre, lui aussi plongé dans cette terre vierge et prometteuse. Que voulait-il faire ? nul ne le sait, mais il allait être pendu. Plummer, bienveillant, — et son regard lucide et perçant, cerné de rides, qu'on n'oublie pas — lui accorde grâce. Le voilà nommé à la tête des éclaireurs. Quand la situation s'assombrit, que les vivres manquent, que les Indiens dérobent les cultures, l'état d'urgence est proclamé. Colin Farrell, qui semble toujours penser à autre chose, et tant mieux pour son rôle, doit partir à la recherche d'une aide. Christopher Plummer choisit de revenir en Angleterre... il reviendra au printemps suivant. Une fuite nécessaire à la survie de Jamestown... et désormais, la colonie est abandonnée à elle-même.

The New World est l'histoire, bien sûr, d'une rencontre. La caméra est à la fois hésitante et assurée. Les plans peuvent trembler, se confondre, se relayer, à une vitesse qui laisse tout juste le temps au spectateur de goûter à son image et surtout de ne pas s'en lasser : ce sont de grandes photographies qui profitent de la force du cinéma. Elles montrent une terre vivante. Un océan, une forêt, des hommes. Les lieux se rencontrent, tout comme les peuples, dans toute leurs complexités, ne partageant que le socle commun de leur nature : nés hommes. Malick est un cinéaste qui montre beaucoup et qui explique peu. En vérité, il n'explique qu'en parenthèses, en sous-tension, usant sans se lasser d'un des aspects les plus critiqués de son cinéma : sa voix-off. Sa voix-off qui lance les éclats de pensées de ses personnages, qui montre un peu, qui n'aide même pas l'intrigue. On la sait qualifiable de superficielle, ce que je pourrais presque accorder aux mécontents, tant les plans sont riches et beaux, tant l'image et la musique peuvent se suffire à eux-mêmes. Malick, c'est un amour de la nature, de la pure démonstration, qui veut capturer un fragment de la richesse humaine, sans déposer d'avis. La richesse et la pauvreté, la contradiction de ces hommes, à travers des trames très générales de l'homme (la guerre, la possession, la famille). Pourtant Malick veut donner une voix à ses personnages. A Smith, à l'indienne sans nom qu'il rencontre.

Parlons de l'indienne. Initialement, pour le film, son nom est une sorte de spoiler. Un spoiler sans importance pourtant, d'autant que l'industrie Disney avait déjà popularisé ce nom jusqu'à débordement. C'est comme si Malick avait décidé de corriger l'image d'une légende, de la montrer avec sa poésie à lui, une histoire presque infantilisée... Faire une version d'adulte, une version qui montre aussi la saleté, la grisaille, la violence brute. Un faux spoiler, de toute façon, pour quiconque ayant déjà entendu parler de la légende, avec ou sans dessin animé. Mais ce choix de ne pas le dire, de le garder pour le générique et le générique seul, est sincèrement remarquable. John Smith est le soldat au nom commun, qui devient l'homme unique, l'homme d'ailleurs, l'homme de la découverte. Elle ! elle est une âme, un corps, un visage. Une sorte de feu follet, fille préférée du chef qui en a des dizaines, un peu perdue dans sa forêt, proche de ses frères, qui sauve ce nouveau venu, séduite par ce nouveau venu, amoureuse du nouveau venu. Le nouveau monde pour elle est celui de l'amour. Il l'est également pour Smith, qui a vu en ce peuple un idéal perdu, impossible, un rêve... Il s'y perd mais, un jour, doit retrouver Jamestown. Les véritables problèmes commencent à cet instant pour le soldat.

La colonie est vraiment, brillamment filmée. De ses débuts rayonnants aux heures noires de la famine, de l'humidité, des prises de pouvoir aléatoires, de l'anarchie, de la saleté, des enfants voleurs, du froid, du sauvetage, de la bataille, du sang, du renouveau. Elle est le vrai cœur d'activité, le centre d'attention de Malick. La forêt est une sorte de Terre Promise, éden temporaire, dans laquelle les yeux surpris de Farrell se perdent, militaire au passé houleux mis à nu par la société utopique des powhantas et un amour impossible. Les reconstitutions sont pudiques et respectueuses, les figurants excellents, autant pour les indiens que pour les colons désœuvrés. Q'Orianka Kilcher a un charme et un jeu étonnants, et Christian Bale m'a incroyablement convaincu, une fois de plus, loin d'être la dernière. Le message de Malick est au service de l'intrigue, et l'intrigue au service de son message. En traitant cette légende, dans ce contexte, pour cet instant de l'histoire... il y aurait pu y avoir le risque de la surcharge ou de l'inconsistance. Mais ce n'est pas pour rien que le Terrence est un des plus grands réalisateurs en activité. Sa magie opère. Il a su démystifier une légende, saisir de son art quelque chose de fort, la rendre belle, harmonieuse, profonde.

Ce film est une allégorie de la découverte. L'histoire l'a démontré : il y a toujours eu quelque chose à découvrir, et il y aura toujours des choses à découvrir, en nous et en ce qui nous entoure. Découvrir un réalisateur comme Malick et se dire que ce genre de travail existe donne envie de croire à la vie, à sa légèreté, sa dureté, ses tréfonds et sa réalité. Pourtant, quel art. Quel grand tableau.
Aloysius
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le 10 août 2012

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le 10 août 2012

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Aloysius

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