Little Big Man, contre toute attente, a gravé quelque chose en moi, une sorte de souvenir indicible et ambigu, teinté de respect, d'admiration, d'engouement et de surprise. Je pense à un long-métrage puissant, comme on en voit peu, de la caméra aux acteurs, en pleine maîtrise d'eux-mêmes, des décors aux situations, riches et intelligents. Car ce film est génial. Il nous prend aux tripes. Il nous apprend quelque chose que nous pensions connaître.

Mais, qu'en est-il de ce "quelque chose", en vérité ? Est-ce juste l'étonnement de croiser une perle de cinéma au coeur de millions d'autres connues ou pour la plupart méconnues, la certitude d'être tombé sur "le" film qui va nous changer à jamais, la claque perfectionniste monumentale, la belle leçon de tolérance et de reconsidération d'un peuple, la redécouverte de deux cultures et d'un choc entre elles-mêmes ? Voire même un mélange de tout cela ? Je ne sais pas vraiment. Arthur Penn nous dépeint une fresque magnifique, drôle, romanesque, dramatique dans son film et, au-delà du reste, sensationnelle d'humanité (cette dernière qui, sans hésiter, ne cessera jamais de me faire aimer le cinéma).

Little Big Man est donc un western atypique, jusque dire un anti-western ; une histoire vue des deux côtés d'une rivière tortueuse. À travers le destin extraordinaire d'un homme qui semble habité par le mensonge, - Dustin Hoffman, imprévisible, étonnant et touche-à-tout - nous allons tour à tour rencontrer deux cultures : indienne et américaine, qui finiront par "se faire face". L'une, marquée par ses coutumes, ses croyances et sa sagesse, l'autre, caractérisée par son ambition, sa violence et sa soif de richesses. Le parti pris est évident, mais au-delà de la simple position prise envers le plus faible, Penn ne nous prend pas pour des idiots et ne tombe en aucun cas dans le manichéisme de base : il confronte deux cas indissociables depuis le regard neutre du personnage de Hoffman, la réalité d'un génocide et de la folie aveugle d'un massacre incompréhensible, le massacre de personnes qui croyaient vivre, et qui tombent sous les coups des mieux armés, sans doute les plus intelligents... Malgré toutes les promesses, les décisions, la miséricorde apparente. Little Big Man est marqué par le mensonge : l'homme est un menteur, mais peu importe si Jack Crabb, dans son récit, idéalise ou invente : lui, dénué de certitudes, ne ment pas. D'ailleurs, une anecdote de son récit met en valeur cette idée d'inégalité marquée par des idéologies dissemblables : l'assaut ridicule des indiens consistant à toucher d'un bâton les soldats américains, où le simple fait de les toucher consistait en une forme de victoire acclamée (avant de finir sous le coup d'une balle).

Je n'ai pas le souvenir d'une bande originale, d'un vieillissement de pellicule ni d'une longueur dérangeante, mais j'ai surtout le souvenir d'un scénario incroyable, qui oscille habilement sans tomber dans l'hésitation entre les nations, (mais la nation indienne en est-elle une ?) les rencontres, les allers et retours des personnages secondaires (qu'on voit toujours réapparaître, avec les années qui changent, qui les ont tous changés), toujours utiles ou très présents malgré leurs passages périodiques (le maître de la gâchette, les première et deuxième compagnes - principalement la magnifique "Rayon de Soleil" au destin tragique - le rival fraternel, le général Custer), et le parcours d'un homme en quête de lui-même et de sa vérité dans un monde impitoyable et pitoyable, acerbe et doux, triste et drôle. J'ai le souvenir d'un film d'apprentissage, de redécouvertes, de tristesses et de sourires. Car, même s'il est dramatique, Little Big Man est aussi drôle. Des situations absurdes, de l'ironie, des passages improbables, (le défi du harem !), on rit et on pleure, on espère et on aime, on prend peine, pitié, mépris ; tout simplement, on ressent, et on ressent beaucoup.

J'aimerais m'attarder sur les moindres détails m'ayant marqué dans cette histoire, j'aimerais vous parler plus longuement du regard de ce vieil homme qui a tout vécu, j'aimerais vanter les mérites d'une culture méconnue, d'un chef de tribu, de femmes et de passants, j'aimerais parler de l'humanité en connaissance de cause, j'aimerais vous dire à quel point j'ai aimé ce film, beau, riche, engagé, et sincère.

Mais, au-delà du reste, je voudrais surtout vous laisser devenir ce jeune journaliste qui écouta la longue histoire du dernier survivant de la bataille de Little Big Horn, comme je le devins moi-même, comme je fus secoué comme pas possible, comme je sortis de ce récit avec un grand silence de respect.

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le 23 oct. 2011

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Aloysius

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