oct 2012:

Sans être un de mes Wilder préférés je suis sorti de ce film encore une fois charmé par l'extraordinaire faculté du cinéaste à pondre des scenarii aussi élaborés. Le terme est bien mal choisi : à ce niveau de perfection on serait plutôt avisé de dire "ciselé". Je recherchais dans ma mémoire un film de Wilder décevant. Pas un pour le moment. D'aucuns évoquent "Buddy buddy". Pas vu. Que ce soit avec Diamond ou Brackett, Wilder réussit toujours à créer des films d'un équilibre surprenant.

Ce "lost week-end" n'est pas une comédie, loin de là bien entendu, mais ici et là Wilder ne peut s'empêcher de sortir quelques lignes pleines d'humour, des bons mots fuselés où effleurent un sens particulier de l'absurde ou bien quelque ironie.

Et s'il est entendu que ce n'est pas là le trait essentiel du film, cette finesse dans les dialogues joue énormément de ce qui fait la grande force du film, de cette capacité de raconter ce qu'on ne racontait guère à l'époque, la descente en enfer d'un alcoolique sans jamais apposer un regard moral quel qu'il soit sur le personnage. Certes, la société ne se gêne pas pour lui assener quelques coups de trique vertueuse (la chanson sur son vol de sac à main dans le bar, un brin la discussion de ses futurs beaux-parents putatifs) ne faisant que l'enfoncer encore plus dans son malaise.

Les deux regards portés sur l'alcoolisme qui partagent l'humanité, pour le dire grossièrement, sont incarnés par le frère de l'ivrogne (Phillip Terry) et sa petite amie (Jane Wyman) : l'un dit qu'il n'y a rien à en tirer, que c'est une éponge irrécupérable prête à toutes les trahisons pour téter de la bibine ; l'autre dit tout simplement que c'est une maladie et qu'il a besoin d'une thérapie, d'une aide médicale et humaine. Entre compassion et réprobation, le film nous fait endosser les deux habits, nous fait admirer la palette de toutes les positions plus ou moins claires, plus ou moins ambiguës que la famille, les amis, les toubibs ou toute la société peut prendre dans ces circonstances.

Le scénario nous installe aux premières loges, témoins des turpitudes dans lesquelles se noie le personnage. Sans faire de nous des complices, car cet alcoolique n'a besoin de personne pour plonger goulument dans la boisson, Brackett et Wilder permettent au spectateur d'assister à la moindre pensée ou envie du personnage par l'axe de la caméra, ou bien le jeu de regard Ray Milland. On assiste à tous ses efforts, toutes ses inventions, ses manipulations les plus perverties afin d'obtenir sa biture. Et ce qui est formidable c'est que l'on suit cette évolution avec grand intérêt, sans jamais se lasser. L'écriture est parfaite, très progressive, très juste. Il y a absolument rien à ajouter ni à enlever. C'est au cordeau. Nickel. L'usage de la caméra, la mise en scène de Wilder se marient de manière idéale avec le scénario.

Les acteurs sont inégaux. Si ma femme fustigeait après le visionnage quelques excès de Ray Milland qui m'ont échappé, c'est bien le fade Phillip Terry qui m'a paru franchement mauvais comme un pou galeux. Au contraire, j'ai trouvé Milland très bon, surtout qu'il se coltine un personnage malaisé à maitriser, toujours entre deux abymes, l'outrance et la passivité. Juste ce qu'il faut.

Le rôle qu'obtient Jane Wyman pouvait être aussi difficile à mener, or, elle s'y prend avec une certaine assurance qui n'est pas sans charme, belle et puissante, convaincue par l'amour qu'elle peut sauver son homme. Son personnage n'a rien de pathétique, pas d'apitoiement, mais une résistance humble et vigoureuse, ni héroïque, ni irréelle.

Très belle composition collective, film plutôt impressionnant, un Wilder un peu en marge du reste de sa production, mais aux accents particuliers propres au maitre autrichien.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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Alligator

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