Henri Verneuil, Jean Gabin, Bernard Blier, Michel Audiard. Avec une si fine équipe, on sait qu’on a bien peu de chances de se tromper. Chacun, séparément, ou en collaborant, a contribué à un certain essor du cinéma français dans les années 60, avec des films mémorables aujourd’hui bien ancrés dans l’imaginaire commun. Le Président n’est probablement pas le plus célèbre d’entre eux, mais il mérite sans aucun doute que vous vous y intéressiez.


A l’aube de la Ve République, Henri Verneuil adapte le roman éponyme de Georges Simenon et nous propose de faire la rencontre d’Émile Beaufort, un ancien Président du Conseil au caractère bien trempé, qui coule désormais une retraite paisible, bien qu’il planche sur la rédaction de ses mémoires et reste à l’écoute de l’actualité politique. Les éléments identifiables de l’intrigue, notamment les personnages, sont fictifs, mais leur objectif est, bien sûr, de se raccorder à la réalité, qui est, ici, celle de la IVe République et de son instabilité, entre autres. Le film alterne entre deux périodes : celle où Emile Beaufort est à la retraite, et celle où il est encore en activité, peu avant de quitter le pouvoir.


Dès les premiers instants du film, alors que le générique défile, un immense cortège accompagne, de manière on ne peut plus solennelle, un homme politique britannique vers la demeure de l’ancien Président du Conseil français. Premier témoignage d’une forme de grandiloquence reprochée à la classe politique dont Henri Verneuil va ici nous parler. Grandes réceptions, flatteries, médailles, honneurs, la « République dorée » de Verneuil semble tout droit issue des IIIe et IVe Républiques, et Emile Beaufort sera le trouble-fête dans cette célébration d’egos et de richesses. Emile Beaufort, campé par un Gabin magistral, va être notre porte-parole face à une classe politique centrée sur elle et sur ses intérêts, incarnant l’intégrité là où elle a été écartée par le carriérisme et la quête de profit.


Verneuil nous expose les coulisses d’un microcosme, de ce qui s’apparente plus à une oligarchie qu’à une assemblée visant à représenter les citoyens et à défendre ses intérêts. Le parti pris du cinéaste est relativement clair, tendant à aller dans le sens du spectateur, souvent excédé par les errances des politiques, qu’il s’agisse de ceux de l’époque, ou de ceux d’aujourd’hui. On pourrait, alors, reprocher au Président d’être un brin démagogique, de tirer sur l’ambulance. Mais rien n’est totalement blanc ou noir. Chacun traîne ses propres casseroles, qu’il s’agisse d’un Chalamont indigne de confiance, ou d’un Beaufort n’hésitant pas à faire chanter son adversaire, même si celui-ci est clairement en tort. Finalement, toute la classe politique en prend pour son grade, et il est intéressant (ou peut-être devrait-on dire inquiétant ?) de constater qu’il est toujours bien d’actualité, même soixante ans plus tard.


S’il ne fait aucun doute que la réussite du film résulte d’une véritable alchimie entre le talent de Verneuil, les dialogues d’Audiard et la prestation de ses acteurs, la performance de Gabin est centrale et essentielle à la puissance qu’il dégage. Une nouvelle fois, l’acteur nous gratifie d’une superbe prestation, grâce à son charisme inégalable, nous captivant, nous enthousiasmant et nous révoltant tour à tour. L’apothéose sera atteinte au détour d’un monologue mémorable, moment de prise de conscience, de questionnements et d’indignation. Le Président a su captiver son auditoire et faire preuve de sa force de conviction. Mais il ne pourra jamais que pointer du doigt ce qui fait la faiblesse des hommes de pouvoir : savoir utiliser ce pouvoir de manière juste et judicieuse.


Autorisons-nous, en guise de bonus, quelques répliques fleuries signées Audiard, qui, par la même occasion, font également réfléchir :


« Je suis un mélange d’anarchiste et de conservateur, dans des proportions qui restent à déterminer. »
« Mais, sauf pour les dictateurs et les imbéciles, l’ordre n’est pas une fin en soi. »
« C’est une habitude bien française que de confier un mandat aux gens et de leur contester le droit d’en user. »
« Entre l’intérêt national et l’abus de confiance, il y a une marge. »
« Il faut prendre la démocratie comme elle est, cette démocratie dont un grand homme politique a dit qu’elle était le pire des régimes, à l’exception bien entendu de tous les autres. »
« Votre insignifiance vous tenait lieu de paravent et j’avais justement une question à vous poser. »
« Je ne vous demandais pas simplement vos voix, je vous demandais d’oublier ce que vous êtes. Un instant d’optimisme. »


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le 9 août 2019

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