Contrairement aux Etats-Unis, les films français traitant de politique sont assez rares au moins jusqu’aux années 80. On se souvient depuis du film de Francis Girod, « Le bon plaisir », et tout récemment de « L’exercice de l’Etat » de Pierre Schoeller, le « Pater » de Alain Cavalier ou encore « Quai d’Orsay » de Bertrand Tavernier. Quatre films qui se placent au cœur du pouvoir, le plus souvent côté coulisses.


Il est un film de 1961 qui avait ouvert la brèche, « Le Président » d’Henri Verneuil qui a connu un beau succès en salle avec plus de 2,6 millions six cent mille entrées (le n°1 de l’année étant « Les canons de Navarone » avec 6,8 d’entrées). Bien évidemment, la présence de Jean Gabin, le « Pacha » du cinéma d’alors n’y était sans doute pas étrangère, mais il y a bien d’autres raisons.


« Le Président » est un film populaire, dans le sens où il flatte avec une certaine démagogie l’état d’esprit français (qui n’a guère évolué) qui « a l’habitude de conférer un mandat aux gens, et de leur contester le droit d’en user ». Toutefois, cette facilité n’entrave en rien la qualité du scénario et des dialogues savoureux de Michel Audiard (vraisemblablement sa production la plus aboutie). Il s’agit d’une adaptation d’un roman de George Simenon, réactualisée.


Bien plus que les bons mots, c’est la mise en exergue de la mécanique du pouvoir qui est ici brillante. La toile de fond, est une quatrième République moribonde croulant sous le conservatisme, où le moindre gala de bienfaisance (ici celui des œuvres de la presse) se transforme en en défilé officiel d’autorités où grands croix de la Légion d’Honneur rivalisent avec zibelines et smokings. Audiard et Verneuil se font les chantres du renouveau qui souffle depuis peu sur le pays avec l’évolution des idées et des actes (création de la Communauté Economique Européenne, de la 5ème République, omniprésence des journalistes avides de scoop…) et choisissent comme prisme l’ex Président du Conseil Beaufort. La mise au pilori sera sévère. Balayés les septiques qui s’opposaient à une « Europe fiction grammaticale », au rebut les grisons, transfuges d’un second empire où affairisme et colonialisme faisaient bon ménage. Alors certes la Fédération des Etats Unis d’Europe ne verra pas le jour, la nouvelle constitution a révélé depuis bien de ses travers, mais rien que pour cette audace peu commune à l’époque (ces idées avaient encore du mal à cheminer) le film vaut son pesant de dorures !


Mais il va bien au-delà encore. La vertu en politique est une autre approche qui est traitée avec une certaine subtilité. Le personnage de Beaufort, un Président côté jardin, qui s’est volontairement retiré « des affaires » par probité, plane toujours sur la sphère du pouvoir. Il est une sorte de statue du Commandeur, mais bien vivante et surtout très présente. Et plutôt que de laisser désigner « un gouvernant pas plus mal qu’un autre » tout compétent qu’il soit, il jouera de son influence pour que l’honnêteté l’emporte. Qui mieux que Gabin pouvait entrer dans le costume de ce Président « mélange d’anarchiste et de conservateur dans des proportions qui restent à déterminer » ? Il est tout simplement grandiose ! Face à lui, Bernard Blier ne dénote nullement, incarnant le jeune loup montant avec force de conviction, il donne à Chalamont les plus beaux atours du politicard ambitieux. La prestation de Renée Faure en secrétaire particulière est également à saluer, tout comme les nombreux personnages secondaires (Alfred Adam, Henri Crémieux, Louis Seigner…).


Bien sur « Le Président » fut qualifié à sa sortie de film de « qualité française », dénigré par une nouvelle vague un peu aveuglée par ses dogmes, il n’en est pas moins un redoutable plaidoyer pour la démocratie extrêmement bien construit et mis en images.


Henri Verneuil s’est entouré pour ce faire d’une équipe solide (Maurice Jarre à la musique pour ne citer que lui). Sa mise en scène somme toute assez classique a au moins le mérite de mettre en évidence l’intelligence du verbe et du propos et surtout de livrer au final un film de référence. Car plus d’un demi-siècle après, « Le Président » est comme une braise qui couve encore dans l’âtre de nos institutions.

Fritz_Langueur
9
Écrit par

Créée

le 26 oct. 2015

Critique lue 591 fois

7 j'aime

1 commentaire

Fritz Langueur

Écrit par

Critique lue 591 fois

7
1

D'autres avis sur Le Président

Le Président
Ugly
8

Du rififi à Matignon

Le président dont il est question ici est le président du Conseil, équivalent d'un Premier Ministre dans cette France de la IIIème République, il a souvent été regardé comme un film condescendant sur...

Par

le 16 mars 2020

39 j'aime

26

Le Président
fabprems
7

L'OVNI-Président

"Le Président" nous emmène dans la campagne française découvrir Émile Beaufort (pas besoin d'onomastique pour comprendre les qualités de ce personnage), ancien Président (du Conseil, l'équivalent du...

le 15 févr. 2011

36 j'aime

1

Le Président
Alligator
10

Critique de Le Président par Alligator

sept 2009: Film singulier dans les filmographies de Verneuil, de Gabin et même celle d'Audiard. Si l'on se réfère à sa seule trame générale, on pourrait se tromper à n'y voir qu'un film politique...

le 23 mars 2013

23 j'aime

Du même critique

Ni juge, ni soumise
Fritz_Langueur
8

On ne juge pas un crapaud à le voir sauter !

Ce n'est pas sans un certain plaisir que l'on retrouve le juge d'instruction Anne Gruwez qui a déjà fait l'objet d'un reportage pour l'émission Strip-tease en 2011. Sept ans après, ce juge totalement...

le 12 févr. 2018

59 j'aime

7

120 battements par minute
Fritz_Langueur
10

Sean, Nathan, Sophie et les autres...

Qu’il est difficile d’appréhender un avis sur une œuvre dont la fiction se mêle aux souvenirs de mon propre vécu, où une situation, quelques mots ou bien encore des personnages semblent tout droit...

le 24 août 2017

56 j'aime

10

Tale of Tales
Fritz_Langueur
9

La princesse aux petites poisses...

Indiscutablement « Tale of tales » sera le film le plus controversé de l’année 2015, accueil mitigé a Cannes, critique divisée et premiers ressentis de spectateurs contrastés. Me moquant éperdument...

le 3 juil. 2015

48 j'aime

11