Le Roi Lion
5.7
Le Roi Lion

Long-métrage d'animation de Jon Favreau (2019)

Du cercle de la vie au cercle vicieux

Je n'avais pas envie de critiquer le film.


Aussi bien dans le sens de l'appréciation que dans le sens du reproche.


Bien entendu qu'il y avait des choses à dire mais je constatais que les problèmes du film et de la tendance à laquelle il est rattachée sont suffisamment évidents pour éviter que je ressasse là-dessus. Après tout, Disney se fait maître dans l'art de resservir le même plat, je ne pouvais rivaliser.


Ce qui me pousse à finalement écrire ces quelques lignes, c'est mon pur ressenti qui me laisse perplexe, surtout quand je le compare aux autres réactions, qu'elles soient très enjouées ou plus proches de mes attentes de base (quoique pas aussi violentes que celle de Walter-Mouse, bien que son avis corsé, je l'ai vu venir à des kilomètres). Du coup je vais quand même parler du long-métrage et de ces remakes à foison. Contradictoire oui mais Disney l'est tout autant. En revanche ça ne sera pas une critique du film proprement dit, soyez prévenus.


A la base, je ne voulais pas voir le film. Mon frère m'a proposé et souhaitait le voir juste pour le descendre pour dire. Lui comme moi avions été échaudé par l'expérience de la Belle et la Bête et on se doutait du résultat final. Venir payer ma place revenait à donner raison à Disney et sa volonté de refaire ses classiques d'animation avec la technologie actuelle. Comme si la boîte souhaitait se détacher de son héritage du dessin traditionnel et pousser la génération suivante à plutôt grandir avec le souvenir de ses copies boursouflées, ce qui m'attriste grandement si c'est le vrai but. Au moins quand Mickey sortait ses suites au rabais, ce n'était (presque) pas au cinéma, principalement parce qu'ils traversaient une période de transition et de recherche d'identité certes, mais au moins on ne marchandait pas ouvertement avec notre nostalgie. Aujourd'hui leurs longs-métrages modernes se portent à merveille aussi bien sous leur label qu'avec la branche Pixar tandis que leurs rachats divers ont porté leurs fruits (coucou Marvel) donc ils peuvent se permettre de dépenser des millions pour littéralement acheter nos émotions. Comment peuvent-ils être aussi honnêtes et touchants avec leurs dessins animés contemporains et aussi cyniques et condescendants avec ces remakes dans la même période ? Allez savoir.


Ça, c'est ce que j'en pense après avoir réfléchi et pesé mes mots. Comprenez : je désapprouve leur politique actuelle et je ne voulais pas voir ce film. Or je l'ai fait, donc j'ai donné raison à Disney quelque soit mon avis après coup, car comme toute entreprise bien placée, elle regarde le tiroir-caisse avant. Ce qui participe à ma confusion évoquée ci-dessus et ci-après. Mon avis résumé au cas où ? Pour reprendre mon tweet en réponse au compte Disney France qui nous demandait notre opinion tout en rapportant les critiques positives de la presse, "une démo technique impressionnante et sympathique pour qui se laissera toucher par la nostalgie sans comparer avec l'original. Sinon ça reste non pertinent jusqu'à l'absurde...". Mais au diable la non-pertinence, car non seulement j'ai vu le film, mais j'ai réussi à sortir de la salle satisfait. Ce qui n'a aucun sens.


Je sais que ce film est inutile et n'est pas bon. J'ai passé les trois quarts de ma séance à penser au film original, celui que je considère comme la quintessence du savoir-faire Disney (polémique de plagiat mis de côté). Je me répétais sans cesse l'absence de pertinence du projet. Je mesurais le degré de malaise à chaque reprise bancale des chansons. Je regrettais que ce réalisme si poussé empêchait les protagonistes d'exprimer une émotion concrète, en leur être et chez nous spectateurs. Je sentais que le dilemme intéressant de Simba n'avait plus le même impact et que le message était plus dilué. Je ne souriais pas autant face aux scènes copiées trait pour trait quand bien même ce même sourire me décrochait la mâchoire à chaque nouveau visionnage d'un dessin animé que je connais fort bien. Je n'ai jamais été proprement investi ou su lâcher prise pour me laisser embarquer par l'expérience, ce qui est le but premier de chaque film à l'origine. Par association, il devrait être raté selon moi s'il a manqué à ce devoir initial.


Pourtant, petit à petit, mon indulgence a pris de la place. Je saluais la prouesse technique car les équipes chargées de la modélisation des animaux le méritaient bien, tant le résultat est saisissant sur le papier. Je remarquais une direction relativement soignée sur le doublage français avec pas mal de voix proches des originales tout en ne sonnant pas comme de vulgaires copies, tandis que Jean Reno, quoique vieilli, gardait son timbre imposant. Même l'inénarrable Jamel Debbouze qui profite cette année d'une côte royale inexplicable chez Disney vu son omniprésence dans leurs projets en dépit d'une incapacité de mettre son ego de côté, s'avéra tout à fait acceptable en suricate, sachant enfin s'effacer derrière le rôle. Je notais les quelques différences appréciables ici et là, je saluais le rôle quasi-muet de Rafiki, je riais des quelques blagues ajoutées de Timon et Pumba (dont l'une ou autre brisant presque le quatrième mur)... Et j'appréciais le capital sympathie intact de tous ces personnages, du bavard Zazu au sage Mufasa en passant par le machiavélique Scar et l'insouciant quoique tourmenté Simba.


Pourtant, c'est toujours le même film. C'est encore une fois plan par plan, sans le dynamisme inimitable des dessins animés et avec tous les défauts énoncés. Une ressortie en version 3D voici quelques années avait bien plus d'attrait que ce rabâchage. Comment en suis-je venu à le regarder et, à la sortie de la salle, avouer un sentiment globalement positif avec mon frère (qui à l'origine avait fait le déplacement pour démonter le film je rappelle...) alors qu'on avait tous deux bien conscience d'alimenter la machine infernale de Disney ?


Parce que, consciemment ou non, Disney continue de faire appel à nos sentiments. La curiosité, qu'elle soit maladive ou non. La passion du cinéma, profiter des salles obscures, de son son et du public pour peu qu'il soit courtois et poli, pour ensuite partager notre ressenti avec d'autres passionnés quelque soit la qualité du film. Et bien entendu, la nostalgie. Si Disney refait ses plus grands classiques, c'est bien parce qu'ils sont ceux auxquels on est le plus attaché. Ainsi qu'importe si les changements apportés sont mineurs ou inexistants. Revoici ce personnage, cette chanson, cette scène.. Il y aura bien quelque chose qui va éveiller en nous une petite flamme et faire baisser notre garde, surtout chez les non-cinéphiles, peu sensibles aux enjeux de pertinence créative qui laisseront libre court à leurs émotions d'antan. A quoi bon corriger les dessins animés imparfaits qui pourraient en avoir besoin et leur donner une vraie nouvelle version ? Trop de gens les ont oubliés et n'y sont pas attachés, ils n'iront pas les voir, ce qui a été hélas prouvé (Peter et Elliott le dragon fait signe).


Notez l'ironie dramatique : beaucoup de fans de Disney mais pas nécessairement cinéphiles se demanderont pourquoi ces films moins connus ressortent dans un remodelage qui serait pourtant pertinent mais n'auront aucune hésitation à aller (re)voir les classiques en prises de vues "réelles". Des personnes plus "puristes" envers le septième art auront eux le raisonnement inverse. Je schématise et simplifie bien sûr car la frontière entre les deux est souvent fine (pas mal ont cultivé leur amour du cinéma en commençant par les Disney et des cinéphiles assumés pourront très bien apprécier ces films) mais vous pouvez être sûrs que les gros bonnets hauts placés ne chercheront pas plus loin.


Dans tout ça, que dois-je faire ? Revenir à un esprit critique plus fin quitte à devenir plus rabat-joie et me retenir définitivement d'alimenter le cercle vicieux de la boîte aux grandes oreilles, histoire qu'ils mettent fin le plus tôt possible à cette dynamique nocive pour la créativité et, à terme, pour leur image ? Ou laisser libre court aux émotions et me dire qu'il n'y a pas de mal à revoir la même chose juste légèrement remodelée tant qu'à la fin, je finis par passer un bon moment même relatif. ? Et aussi donner une chance aux projets promettent de vrais changements (Mulan, s'il te plaît...) ?


Je suppose qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. En attendant, je me retrouve au milieu de ces personnes saluant la version 2019 du Roi Lion sur les réseaux sociaux en opposition aux gens qui la descendent en flammes. Au pire, ça m'entraînera pour le prochain Star Wars. Sur cette franchise Disney au moins, ce sont les prises de risque qui font débat, pas leur absence.


P.S : La note reflète davantage mon dilemme évoqué dans la critique que mon appréciation du film car je serais incapable de donner une note légitime. C'est donc uniquement à titre décoratif parce que Sens Critique m'oblige à noter pour sortir une critique.

Masta21
5
Écrit par

Créée

le 24 juil. 2019

Critique lue 473 fois

5 j'aime

1 commentaire

Masta21

Écrit par

Critique lue 473 fois

5
1

D'autres avis sur Le Roi Lion

Le Roi Lion
Walter-Mouse
1

Le roi est mort, vive le roi

Avec leur saccage dorénavant annuel de tous leurs plus grands films d'animation, Disney peuvent se vanter d'avoir inventé un nouveau type de cinéma, celui qui achète à prix d'or l'émotion du...

le 19 juil. 2019

87 j'aime

36

Le Roi Lion
cloneweb
5

Critique de Le Roi Lion par cloneweb

Critique initialement publiée sur CloneWeb.net Tout a commencé en 1950. Oui, en 1950 quand Osamu Tezuka a publié les premières pages du Roi Léo dans le magazine Manga Shonen. Il était question d’un...

le 11 juil. 2019

82 j'aime

4

Le Roi Lion
Sergent_Pepper
7

Savane pour un infant défait

Ce n’est un secret pour personne, la performance technologique est devenu le pitch principal des blockbusters : alors que Cameron prépare depuis dix ans le retour d’Avatar qui franchit un pallier...

le 19 juil. 2019

60 j'aime

8

Du même critique

Le Fossoyeur de films
Masta21
9

Le podcast où un cinéphile roule des pelles

Quand on commence petit à petit à s'intéresser de plus près au septième art, tomber sur cet individu est une bénédiction. Un charisme certain, un phrasé bien à lui, une passion évidente, une...

le 22 mai 2014

25 j'aime

Alibi.com
Masta21
2

La comédie française, l'alibi des fainéants

Par rapport à des cinéphiles qui pratiquent une sélection plus drastique, je suis encore bon public. Il suffit de voir le ratio de mes notes actuelles pour en avoir un aperçu. Ainsi, je ne suis pas...

le 2 mars 2017

24 j'aime

2

Wonder Woman
Masta21
7

La femme qui se demande...

C'est amusant comme notre perception des films peut évoluer, que ce soit dans notre attente ou notre ressenti immédiat. Batman v Superman et Suicide Squad étaient tellement attendus et à priori, ne...

le 3 juin 2017

24 j'aime