LE SEIGNEUR DES ANNEAUX (II)
DEUXIÈME PARTIE : LES DEUX TOURS
La première partie du Seigneur des Anneaux, « La communauté de l’Anneau », s’achève par la dissolution de la communauté. Tout au long de la deuxième partie le lecteur participe aux péripéties et aux tribulations des trois « groupes » issus de cette dissolution.
- Tout d’abord Frodon le hobbit, porteur de l’Anneau, qui part vers le Mordor accompagné de son fidèle ami Sam.
- Ensuite les deux hobbits Pippin et Merry qui sont capturés par les Orques et finissent par s’en libérer pour faire la connaissance des mystérieux Ents, créatures des forêts.
- Enfin après la mort de Boromir, Aragorn, Gimli et Légolas qui partent à la recherche de leurs compagnons perdus.
Comme dans la première partie le lecteur attentif trouvera des passages où l’épopée de Tolkien prend des consonances bibliques ou plus simplement se fait l’écho de vertus humaines et chrétiennes.
Quelques exemples seulement :
- « Je vous remercie de vos honnêtes paroles, dit Aragorn, et je désirerais de tout cœur vous accompagner ; mais je ne puis abandonner mes amis tant qu’il reste de l’espoir. » L’homme Aragorn est un exemple du sens du devoir. Il est le compagnon indéfectiblement fidèle qui garde espoir (vu les circonstances il vaudrait mieux parler d’espérance) alors que tout semble perdu. (Livre III, ch. 2, Les cavaliers de Rohan, p.474).
- L’une des grandes surprises de la deuxième partie se trouve au livre III, chapitre 5, Le Cavalier blanc : On se souvient que la Compagnie avait perdu son guide Gandalf le gris dans les abîmes de la Moria. Sa chute aussi vertigineuse que profonde ne pouvait laisser aucun espoir à la Compagnie quant à sa survie. Voici comment Tolkien décrit sa manifestation totalement inattendue à Gimli, Légolas et Aragorn : « Il se dressa vivement et bondit au sommet d’un grand rocher. Il se tint là, avec une stature soudain accrue, les dominant de haut. Il avait rejeté son capuchon et ses haillons gris, et ses vêtements blancs étincelaient. […] Tous avaient les yeux fixés sur lui. Ses cheveux étaient blancs comme neige au soleil, et sa robe d’une blancheur lumineuse ; sous ses épais sourcils, les yeux brillaient, pénétrants comme les rayons du soleil ; la puissance était entre ses mains. Partagés entre l’étonnement, la joie et la crainte, ils se tenaient là sans rien trouver à dire. » (pages 534 et 535). Le vocabulaire est très proche ainsi que certains détails (la hauteur, les trois témoins, les réactions de ces derniers) du récit de la Transfiguration de Jésus tel que nous pouvons le lire en Matthieu 17, 1-6. En outre Gandalf est un vieillard. Le vocabulaire de Tolkien peut aussi évoquer la vision du vieillard en Daniel 7,9. Gandalf le gris revenu vivant des abîmes de la Moria est devenu Gandalf le blanc.
- Toujours au livre III, le chapitre 10, « La voix de Saroumane », mérite une attention toute spéciale. On se souvient que Saroumane est un magicien tombé sous le pouvoir du Seigneur des Ténèbres. Les Ents avec Sylvebarbe à leur tête viennent de lui infliger une défaite partielle en ruinant par inondation son domaine, l’Isengard. Mais Saroumane demeure protégé à l’abri de la tour d’Orthanc dont les fondations très solides ont largement résisté aux attaques des Ents. Et voilà que le roi Théoden avec ses hommes, Gandalf le blanc, Aragorn, Légolas, Gimli, Pippin et Merry viennent affronter Saroumane aux pieds de sa forteresse. La voix de Saroumane est celle du tentateur par excellence usant successivement de flatterie, de douceur et de menaces et de violence. Voix démoniaque qui propose une fausse paix, une alliance contre nature. Tous parviennent à résister plus ou moins bien au charme de la voix tentatrice. Et c’est à Gandalf le blanc que revient le privilège de remettre à sa place le tentateur : « Saroumane bascula en arrière en poussant un cri et s’en fut en rampant. » (p. 628). Et si nous avions encore des doutes sur la typologie démoniaque de Saroumane écoutons le constat établi par Gandalf : « Il ne veut pas servir, mais seulement commander. » (p.629). Non serviam… Quand à Gandalf le blanc il se situe dans la logique opposée : « Je ne souhaite pas la domination. » (p.629).
- Notre dernier exemple nous fait retrouver Frodon le hobbit au livre IV, chapitre 3, « La porte noire est fermée ». Il est le porteur de l’Anneau, investi d’une mission de salut. C’est Gollum / Sméagol, étrange créature, possesseur de l’Anneau avant Bilbon et Frodon, qui vient de conduire Frodon et Sam aux portes du Mordor. Gollum tente alors de décourager Frodon. Voici comment Tolkien décrit alors Frodon : « Son visage était dur et tendu, mais résolu. Il était dégoûtant, défait, et il avait les traits tirés par la fatigue, mais il ne tremblait plus, et ses yeux étaient assurés. […] J’ai l’intention d’entrer en Mordor, et je ne connais pas d’autre chemin. Je prendrai donc celui-ci. Je ne demande à personne de m’accompagner.[…] J’ai l’ordre d’aller au pays de Mordor, et par conséquent j’irai dit Frodon. S’il n’y a qu’un seul chemin, il me faut l’emprunter. Advienne que pourra. » (pages 684.685). L’état d’esprit qui anime Frodon à ce moment décisif de sa mission n’est pas sans analogie avec celui de Jésus décidant de prendre la route de Jérusalem, que Pierre le comprenne ou ne le comprenne pas. Saint Luc résume cet instant en une formule incisive : « Comme le temps approchait où il devait être enlevé de ce monde, Jésus prit résolument le chemin de Jérusalem. » (9,51). Une traduction plus proche du grec pourrait donner : « Jésus durcit sa face en direction de Jérusalem. »