Deuxième film de Jean-Pierre Melville, c'est aussi le premier de lui que je regarde, et donc j'ai une perception toute vierge de ce réalisateur français incontournable. Adaptation littéraire du roman éponyme, les trois quarts du film sont structurés comme un huis clos, dont le silence, reflétant à la fois le malaise et la réaction (pouvant être diversement comprise comme une résistance et une résignation forcée) de ces deux français face à leur seul occupant allemand, évidement mis en abîme du peuple français durant l'occupation de la deuxième guerre mondiale. Un silence interrompu par les réflexions intérieures du vieux monsieur (présentées par une voix off très présente), le monologue de l'officier allemand allant dans le sens d'une amitié franco-allemande, et l'incessant tic-tac de l'horloge qui renforce l'immobilisme des situations.
Ce face-à-face indirect très littéraire préfigure déjà le style de la Nouvelle Vague, et suscite à la fois l'intérêt et l'ennui. La caméra capte les habitudes quotidiennes et les regards qui ne se croisent jamais, ainsi que le silence quasi total qui s'exprime à l'écran. Cette monotonie permet de mettre en valeur les petits changements, comme les gestes ou les regards qui recommencent à devenir actifs, d'abord lorsque l'allemand part à Paris pendant 2 semaines, puis surtout lorsqu'il leur dit adieu en leur partageant la raison de son départ, à savoir qu'il comprend enfin son véritable rôle à son insu (destruction de la culture et de l'âme françaises ; solution finale). Son point de vue sur la réalité de la guerre change alors, et ainsi, celui des deux français également : après un calme extrêmement plat, le visage de la nièce s'illumine soudainement, mis en valeur par de sublimes gros plans sur son regard qui enfin s'ouvre à l'allemand, qui n'avait droit jusqu'à lors qu'à sa nuque recroquevillée. Son oncle également, sans un mot, lui fait signifier qu'ils se comprennent enfin, par des gestes qui en disent plus long que des discours.
Bref, Melville signe un film sur la guerre à la fois fort et atypique, malgré l'ennui s'installant de temps à temps à cause du style littéraire et d'une forme certes intéressante dans le principe mais sacrément statique.