Ce n'est pas exactement mon Greenaway favori, mais force est de reconnaître que l'oeuvre ne déroge pas aux lois étranges qui dirigent son cinéma et donc fascine comme il se doit. Et si on y adhère (même sans tout y saisir), on appréciera ce film qui mélange avec force et même violence, le minéral et l'organique.
"Le ventre de l'Architecte" nous raconte les derniers mois de la vie d'un architecte américain, rongé par un mal intestinal, et qui s'efforce de mettre en place à Rome une expo d'architecture dédié à un collègue français du XVI° siècle. Voilà qui semble être un sujet taillé pour Greenaway, lui, l'esthète froid, amoureux de classicisme et de symétrie. Chaque plan du film va reprendre cette fascination d'un monde figé, mortuaire, tellurique et impeccablement arrangé. Cette symétrie fondatrice nous rappelle aussi la prédilection de Greenaway pour le binaire et les oppositions.

Brian Denehy est excellent dans ce rôle bien vulgaire, très en chair, et il y exprime aussi bien la puissance que le désespoir. Son personnage se débat dans des comparaisons peu flatteuses entre la décadence en action et l'immanence du monde architectural et artistique qui l'entoure. Il semble désirer ardemment cette transformation en statue classique, cette fossilisation et survivance que tout architecte reçoit par la continuité de son oeuvre. Et son aspect de vieil empereur romain s'accorde aux turpitudes (rêvées ou imaginaires) d'une Rome violente et assassine. Nul doute pourra-t-on y lire un message de Greenaway dans cette bedaine qui accouche d'une oeuvre immortelle (la chair , la pierre et le temps, avec cette femme enceinte elle aussi, la symétrie est respectée).

Création et mortalité, obsessions (la photocopieuse folle qui crache ses désirs sans arrêts), vieillesse et peur du déclin (sa femme le trompe avec un jeune amant, il confie ses rêves à un homme qui détruit en douce le visage des statues) , rappel des lois physiques inéluctables (la gravité, l'équilibre et le gyroscope), on trouve de tout dans ce film intense et agressif qui a les qualités de ses défauts. Je trouve que beaucoup d'effets sont trop gros, que la trame sur l'exposition est bien lourde , que Greenaway en fait trop ici, et qu'il n'a pas la maîtrise de l'énigmatique "Drowning by numbers" ou de son magistral "The cook the thief the wife and her lover" (à voir absolument une fois). On peut regretter que les autres acteurs soient un peu palichons à côté de Denenhy aussi.

Ce film reste pourtant un bon moment, qui force votre réflexion, qui vous bouscule. Il est à réserver aux aficionados de Greenaway, car un poil trop long, un poil trop lourd à digérer (ah ah) mais bon, c'est du Greenaway, on ne peut qu'admirer sa Rome fantasmée, et on se laisse fasciner avec plaisir. Je vous le recommande avec prudence et discernement :-)
nostromo
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le 4 sept. 2014

Modifiée

le 4 sept. 2014

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