"Je fais un sale métier, mais j'ai une excuse. Je le fais salement."
Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, bonsoir.
Aujourd'hui nous allons parler d'Alexandre Marius Jacob.
Non, rien à voir avec le film. Quoique.
Marius Jacob, donc, était un cambrioleur anarchiste. Le genre idéaliste, intègre, ingénieux, et de plus doté d'un grand sens de l'humour. Outre le nombre impressionnant d'anecdotes à son sujet (du genre : il convertissait ses gardiens à l'anarchisme, ce qui faisait qu'on était contraint de les changer régulièrement) et le fait qu'il aurait inspiré le personnage d'Arsène Lupin, cet homme mérite surtout de l'attention pour sa verve et ses idées politiques, fermes, mais qui méritent réflexion (je vous invite à lire sa déclaration lors de son procès qui s'intéresse, justement, au sujet du vol : http://wikilivres.ca/wiki/Pourquoi_j%E2%80%99ai_vol%C3%A9).
Revenons un peu au film. Si je vous ai parlé de Jacob, c'est parce que le personnage de Georges Randal m'y a fait penser sur pas mal de points. Dans l'ingéniosité. Dans le flegme. Dans la ténacité. Dans le mépris des bourgeois, aussi. Et si Randal n'est pas moteur du mouvement anarchiste, il est néanmoins attiré par lui. Pour autant, le personnage de fiction n'a pas été inspiré par la personnalité, bien réelle (en tout cas certainement pas pour le livre). Et il y a une différence de taille dans le fait que Randal est issu de la bourgeoisie, tandis que Jacob vient, lui, du milieu prolétaire. Bref, la comparaison a ses limites mais j'ai trouvé le pont entre la fiction et la réalité plutôt intéressant. Sans compter que le film et le texte que j'ai posté plus haut véhiculent des idées à la fois similaires et différentes, complémentaires en fait.
Sur ce, abandonnons pleinement notre anarchiste et concentrons-nous sur la réalisation de Louis Malle.
Le Voleur est un film simple et un peu étrange. Un film qui a des airs de théâtre de marionnettes en fait. La réalisation est discrète et fonctionnelle, elle épouse les mouvements des protagonistes, et vu que ces derniers ont des répliques qui sonnent parfois - souvent - artificielles, on a l'impression de voir défiler des pantins qui récitent leur texte devant un Belmondo un poil paumé. Oui, ça fait peur dit comme ça. D'un autre côté, ça donne au film un certain côté Bunuelien, dans cette caricature de la bourgeoisie et de sa superficialité, caricature un peu grossière mais plaisante car ponctuée de scènes plus cocasses les unes que les autres.
On a donc, dans un premier temps, l'impression d'assister à un genre de théâtre de boulevard, où les personnages vont et viennent, sans lien apparent. Les scènes sont souvent comiques, parfois elles servent uniquement à faire avancer une mini-intrigue, mais jamais le fond ne semble aller au-delà de la moquerie des bourgeois. Et puis le film s'écoule. Les rapports entre les personnages se précisent. Les enjeux se font plus intenses. La critique des milieux aisés est écartée pour laisser place à des réflexions autour de sujets tels que l'anarchie, la propriété ou la violence. Ce que le film perd en acidité, il le gagne en profondeur.
Le tout est porté par un rythme tranquille, qui semble s'égarer parfois, mais qui mène à bon port ; une sorte de promenade, de flânerie pas désagréable, un peu à l'image de notre voleur qui se laisse porter de Londres à l'Espagne au gré des conseils, des occasions, des sollicitations. Avec néanmoins un point fixe en la personne (en rien déplaisante) de Geneviève Bujold, sorte de fil d'Ariane un peu ténu par moment mais qui assure néanmoins l'équilibre de l'ensemble. Le ton est dans l'ensemble assez léger, mais est néanmoins ponctué de moments plus grave et/ou d'une grande cruauté à l'égard de certains personnages.
Le Voleur est également, et c'est à mon sens sur ce point qu'il se révèle le plus intéressant, un film qui rend compte des différents mouvements politiques qui circulaient en France au XIXe siècle (bien aidé en cela par un travail de reconstitution de bonne qualité). Et donc, parmi eux, figure en première ligne l'anarchisme, qui était alors au centre de bien des conflits politiques. Pour autant, il ne s'agit pas d'un film militant : au contraire il privilégie la réflexion, n'hésitant pas à pointer les failles idéologiques auxquelles mène le cambriolage. Louis Malle - il me semble que c'est une habitude chez lui – ne prend pas de réelle position mais ouvre des pistes qui ne demandent qu'à être creusées. D'où le côté un peu distant, les personnages suscitent rarement de l'empathie chez le spectateur, ça surprend un peu au début, mais on rentre dans le film en douceur pour au final nourrir une certaine complicité à l'égard de Belmondo.
Et en ce qui me concerne, ce sera bien la première fois.