Le Bel Indifférent
6.4
Le Bel Indifférent

Court-métrage de Jacques Demy (1957)

En 1940, Jean Cocteau crée Le Bel Indifférent, pièce en un acte pour Edith Piaf et Paul Meurisse. Produite au Théâtre des Bouffes-Parisiens, elle connaît un grand succès. Seize ans plus tard, Jacques Demy (futur réalisateur des Parapluies de Cherbourg) est assistant de Georges Rouquier pour SOS Noronha (film d'aventure), ce qui l'amène à fréquenter Jean Marais puis à rencontrer Cocteau. En lui accordant les droits de son Bel Indifférent, Cocteau permet à Demy d'affirmer son style : mirifique, pétillant ou à défaut éclatant, souvent emprunt de tristesse (voire borderline sous ses postiches).


Contrairement aux autres courts-métrages de Demy, comme Ars ou Le Sabotier, celui-ci vire à l'exercice de style saupoudré de paillettes ; les couleurs flashy et les manières emphatiques font déjà basculer Demy, sur la forme, dans la comédie musicale et la modernité. Bernard Evein entame ici sa carrière de décorateur et collaborera avec les principaux auteurs de la Nouvelle Vague (et à 7 autres reprises avec son ami Demy). Sa contribution 'américanise' et évoque, pour cet opus, les productions de Powell (Narcisse Noir, Chaussons rouges). Cependant les mots tranchent aussi : Peau d'âne, Les demoiselles de Rochefort, auront leur part sombre, mais elle ne sera pas si ouvertement affichée.


Or Le Bel Indifférent est une complainte pathétique, déclamée par une actrice inconnue (Jeanne Allard, à la performance passionnante) pendant 28 minutes d'un monologue presque ininterrompu. Cette femme souffre d'être délaissée par son amant (Émile, interprété par un amateur trouvé dans la rue) et ne récolter que son mutisme ; en vérité elle récolte encore moins, n'obtenant de lui aucune réponse, sauf à la rigueur lorsqu'il lui tourne le dos. Forcément elle veut croire que son indifférence est feinte. Elle analyse, sans aller au bout de ses raisonnements ; projette sur lui en continu. Elle lui prête tout, en fait tout : même un chic type à l'occasion.


Elle se livre à fond pour cette relation de plus en plus imaginaire. Ce manège solitaire prend une tournure sinistre, en toute transparence ; elle tient son rôle, sa dignité, mais est seule à remplir le vide et surtout à s'aliéner dans cette relation. Elle tourne autour de conclusions déjà connues et n'a finalement rien à gagner, à découvrir ou même à sauver. C'est parfois drôle et toujours désespérant. Ceux qui n'éprouveront ni compassion ni curiosité s'agaceront rapidement et se moqueront probablement. Ils pourraient voir de l'inertie là où il y a un déchaînement d'efforts intenses mais absurdes.


https://zogarok.wordpress.com/2016/03/05/quelques-courts-de-demy/

Zogarok

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