Huitième film, huit salopards, huis clos... le huitième opus huilé sous le signe du chiffre huit, était sans conteste LE moment cinématographique majeur de ce début d'hiver - loin devant la trop surestimée saga Star Wars - et je pèse mes mots. Plus qu'à l'accoutumée, le dernier bébé de QT a profondément divisé la critique. Défoncé par Le Monde et les Cahiers, encensé par les Inrocks et globalement ici sur Sens Critique, Les 8 Salopards marque probablement un tournant dans sa carrière.
L'avenir nous dira peut-être s'il s'agit d'une bonne direction ou une mauvaise, mais son cinéma semble définitivement ancré dans une démarche artistique beaucoup plus sérieuse et sombre, écartant parfois ce qui a pu faire sa renommée réunit à la fois le grand public et le cinéma d'auteur. A savoir : une bonne dose de digressions, du fun à tout prix, de l'humour noir, qui nous rappelait en permanence que le second degré ne rôdait jamais très loin.


ATTENTION SPOILS
Car après mon premier visionnage, il ne me semble pas avoir éclaté de rire une seule seconde, du moins pas autant que d'habitude. Très peu de digressions dramatiques, pas ou peu de scènes fan-service comme celle du Ku Klux Klan dans Django, du jeu de cartes dans la taverne d'Inglourious Basterds, ou de la montre dans Pulp Fiction. Tout élément dramatique sert strictement à la résolution de l'intrigue. Personnellement, je pense que l'on perd en partie l'essence du cinéma de QT. J'aime être parfois emmené en bateau avant d'être ramené dans la dure réalité. Délirer avant d'être effrayé. Mais soit, pourquoi pas après tout...


On ne peut cependant pas lui reprocher un exercice de style jusqu'au-boutiste.
Je dirais même que dans un contexte très étriqué - huis clos - Tarantino frôle le sommet de sa mise en scène et de son écriture.
Rarement QT aura creusé aussi profondément dans les bas-fonds de la nature humaine. Hormis symboliser la victoire finale de la Justice dans un champ de bataille sanguinolant de l'ultime chapitre, j'ai été très marqué par le nihilisme que Tarantino impose. Très inhabituel pour sa part car nous n'évoquons de sympathie pour aucun personnage. Le pessimisme marqué, Tarantino le justifie par le contexte politique américain actuel, qui voit l'émergence de tensions politiques et raciales. Le parallèle avec la guerre de Sécession est pour moi très pertinent. 30 ans après la fin de la guerre, les tensions raciales sont toujours présentes dans la mercerie, entre Mexicains, noirs ou blancs. Et que ce soit 30 ans ou 200 ans après, l'Histoire est un éternel recommencement.
La prise de position très pessimiste de QT, repris dans un contexte historique, poursuit sa démarche politique de ses 2 derniers films. L'Histoire de l'Amérique se concentre essentiellement de bains de sangs, de racisme et de violence...


...Et de misogynie également. Bien que je trouve le point de vue de Tarantino très moderne lorsqu'il met en scène des personnages féminins. Passons son attirance fétichiste vers la gente féminine (Tiens, pas de plans de pieds dans ce film? ), QT a très souvent mis en avant des héroïnes se comportant "comme des mecs", mais à la féminité affirmée. Ce qui est assez contradictoire lorsque la critique traite QT de misogyne...
Le sort de Daisy Domergue est traité de manière très égalitaire, "comme un homme", dans le "respect du métier", n'hésitant pas à la montrer comme une sale gosse, alors que bon nombre de réalisateurs l'auraient développé comme une faible, sans leadership, subissant la monstruosité des 7 autres salopards sans avoir de droit de réponse. Ou alors se serait fait violer...
(un article très sympa qui traite le vent de fraicheur qu'apporte QT avec ses personnages féminins, : http://www.hollywoodreporter.com/news/hateful-quentin-tarantino-loves-his-850397 )


Gourmand en références cinématographiques, Tarantino prend à contre pied ceux qui attendaient un véritable western. Je ne suis pas assez expert dans ce genre là, mais les références ici sont davantage tournées vers l'horreur.
Bien sûr l'ombre de The Thing est partout. Décor du pôle Nord, nihilisme omniprésent, paranoïa, Kurt Russell... La recherche de l'usurpateur est un clin d'oeil direct à celle de la chose, rendant chacun des salopards plus méfiants les uns des autres.
On peut remarquer par exemple d'autres références au cinéma d'horreur bis bien marquées. Le comico-horrifique de Sam Raimi aux allures cartoonesques se ressent dans le personnage de Jennifer Jason Leigh dans le dernier chapitre...


Alors forcément, si ma note est plus basse que d'habitude, c'est que le film comporte quelques défauts.
Par exemple, c'est la première fois que je remets en question certains choix scénaristiques.
Etait-il nécessaire de faire un flash-back ? L'apparition de Tatum était-elle un Deus Ex-Machina trop facile et aurait-elle pu être mieux préparée ?
Parfois des gimmicks compulsifs de QT font tâche. A plusieurs reprises ralenti est utilisé avec avec Samuel L.Jackson. Aucun intérêt selon moi.
La fin m'a paru également un peu longuette, à partir du moment où les masques tombent, le dernier chapitre aurait pu être écourté.


Bon je ne vais pas rechigner que le film m'a tenu en haleine jusqu'au bout.
Il bénéfice d'ailleurs d'une bande sonore exceptionnelle signée Morricone - encore une fois le fantôme de The Thing n'est pas très loin - qui va je pense marquer les esprits pendant un bon bout de temps. C'est toujours un délice de voir la facilité déconcertante de rendre un huis clos aussi ouvert et propice à des idées magistrales de mise en scène (la meilleure scène pour moi étant le règlement de compte, entre le commandant et le général).
J'aimerais que pour sa prochaine oeuvre, quitte à jouer au cluedo et à assagir son style, que Tarantino fasse l'exercice d'un Sleuth. Je suis sûr que son talent de dialoguiste exemplaire, accompagné d'un scénario béton, pourrait donner quelque chose de très bon. Dans un huis clos sur un bateau perdu en mer tiens...

jejeninjaki
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le 13 janv. 2016

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