Je crois que Quentin Tarantino aime beaucoup ses films. De moins en moins peut-être, mais en tout cas il les a tous vu. Et revus. A tel point qu’on se demande pourquoi il continue à en faire, et même en fin de compte (tant il est passé maître de l’auto-citation) si vraiment il continue. Et nous ? un peu pareil, on les a aimé, on les a vus et revus, et on continue. Sans trop savoir pourquoi non plus.


Tout dans ce 8e opus sent le sapin, et le bric-à-brac de Minnie est un dead-end, une impasse où les personnages disparaîtront à tour de rôle — un dix petits nègres au Far West — et dont le film lui-même ne sortira pas vivant. Comme si Quentin se mettait volontairement dans un piège pour pouvoir filmer jusqu’à la lie ce qui peut-être l’intéresse seulement, depuis son premier film : la confrontation au vide. Cet homme est un moine bouddhiste qui s’ignore ! Qui remplit le silence de mots et de coups de feu, l’espace de gestes et de sang, pour souligner, en creux, ce qu’il veut montrer mais qui ne saurait se voir ou s’appréhender en direct : ce qu’il restera quand il ne restera rien, ce qui se passera quand plus personne ne sera là pour y assister.


Quentin l’a dit très tôt, mais on a tous fait semblant de l’oublier : après dix films il est censé s’arrêter. Chacune de ses étapes le rapproche donc de la dissolution, chaque pas est un pas vers la disparition. Lentement la neige pure et blanche tombe sur le cinéma de Tarantino - sur le Cinéma tout court ? le bonhomme est suffisamment imbu de sa personne pour le croire ou le vouloir - et pour moi sa vision du Monde, désespérée mais impuissante à rien y changer ni à rien en dire de plus, tient tout entière dans cette scène que tant trouvent inutile et qui pourrait bien être la plus signifiante du film. Deux hommes en plein blizzard plantant des piquets dans la neige, comme Tarantino plante ses films les uns après les autres. Pour tendre une corde entre le rien et le rien, dans la nuit et le froid, au milieu de nulle part.

Chaiev
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le 7 janv. 2016

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