Lettre à Quentin : je t'adule comme je te hais.

Cher Quentin, tu m'as déstabilisé.


Un soir de janvier, le froid au bout des lèvres, j'étais venu retrouver la chaleur d'une salle plongée dans le noir pour finalement finir dans une ambiance glaciale. La tête dans de grands paysages hivernaux, cela suffit à me donner des frissons, et à installer une atmosphère pesante. Comme c'est blizzard !


Et puis la diligence est partie, pour une longue chevauchée à travers les plaines enneigées. Mais Quentin, tu m'as laissé sur le bas-côté, là tout seul. J'étais pourtant monté à bord de ce véhicule chevaleresque avec ces escrocs dont les sourires en coin m'ont pris au piège dès le départ. Puis tu m'as abandonné sur le bord du chemin, au moment où tes héros-salopards ont commencé à l'ouvrir.Tu m'as pourtant habitué à tes longs dialogues inutiles et métaphysiques sur la genèse des chansons de Madonna ou sur comment s'appellent les hamburgers en France. Mais là, j'ai atteint le seuil de saturation. Celui où tout est trop lent, où les chevaux sont essoufflés après deux ou trois gros plans magnifiques qui les subliment en pleine course. Je dois le reconnaître, Quentin, tu es un grand réalisateur et tu le sais. Ta caméra se pose, capte tout ce qui se passe autour d'elle, tu laisses tourner et tu t'amuses au montage. Ta technique, je commence à la connaitre, et je suis loin d'être le seul. Toute une bande d'enragés et de petits salopards comme moi sont venus remplir la salle pour l'avant-première. "Les aficionados de Quentin" : ça sonne bien, et ça te plairait, j'en suis sur.


Bref, en aficionado, je reconnais bien là ton oeuvre, ces références ouvertes à des films que tu chéris comme "The Thing" de John Carpenter par exemple. Cette bande enfermée par un froid glacial ne peut être une coïncidence. Mais "The Hateful Eight", c'est aussi des références à tes anciens films. On dirait en fait une sorte de mash-up géant entre Reservoir Dogs et Django Unchained. Et quand nous arrivons dans cette mercerie étonnamment propre, juste un bonbon qui traîne dans le plancher, nous ne te reconnaissons pas complètement. Où est passé le Tarantino transpirant, viscéral, désorganisé ? J'aurais du les voir, ces signaux, qui me disaient : "Ne bouge pas, ça arrive !".


Mais avant de les voir, j'ai vu des acteurs. Que dis-je, ton équipe. Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Michael Madsen, Tim Roth, c'est un peu une dream team que nous avons là ! Et il faut bien avouer qu'ils jouent bien tes gars. Leurs dialogues sont finement ciselés, leurs regards sont aussi pétillants qu'inquiétants, et leurs rires n'ont rien de rigolo, même si on rit bien un peu. Mais qu'est-ce qu'ils sont ridicules ! Ridicules face à un personnage, une gueule, une actrice : Jennifer Jason Leigh. Çà, et dites-le aux producteurs de 50 Nuances de Grey, ça s'appelle vraiment de la domination. Domination psychologique mais aussi domination artistique. Pas une fois, cette comédienne que nous avions un peu perdu de vue ne faiblit dans sa prestation. Et voilà comment relancer une carrière...


Bon, allez, si j'arrêtais les compliments avant que tes chevilles ne grossissent à un point tel que tu ne puisses plus rentrer droit dans tes bottes ?
Parce que cher Quentin, tes Huit Salopards ne sont pas exempts de tout reproche. Prenons le scénario par exemple. L'intrigue est bien ficelée et tient la route, mais l'histoire ne perd-t-elle pas finalement en saveur à vouloir faire une narration trop classique ?
En déconstruisant davantage tes séquences en étant moins linéaire, en attaquant directement dans la mercerie et usant des flashbacks, n'aurais-tu pas gagné en rythme et en tension? Probablement que tu as souhaité laisser une certaine visibilité à l'histoire pour ne pas perdre ton spectateur, et c'est tout à ton honneur. Mais un honneur qui n'a pas des allures de prise de risque comme tu as l'habitude d'en réaliser. Tu as surement pensé à Jackie Brown pendant ton montage, j'aurais préféré Pulp Fiction.


Et puis ce plan de fin, parlons-en. Est-ce une référence directe à celui du début? Surement que oui. Mais finalement, n'y aurait-il pas eu matière à faire beaucoup mieux ? Surement que oui : épisode 2. Si tu avais fait une sorte de dé-zoom ou de travelling arrière pour sortir de la mercerie et finir dans ces grandes étendues de neige, blizzard en prime, j'aurais sûrement crié au génie haut et fort dans la salle. Là, je "cryogénise", je reste de glace devant ta proposition tant elle sent la facilité.


Alors, cher Quentin, bien sur, je te blâme, je te critique, et je te juge. Mais dans un coin de ma tête, je n'oublie pas ces fuites de scénario, ces difficultés de production qui t'ont obligé à retoucher cette intrigue qui vaut de l'or sur le papier. Et puis, tu détiens cette capacité à me remettre en cause : ai-je vraiment détesté? Non, pas vraiment. Et pourtant, je me suis ennuyé, interloqué, arraché les cheveux, rongé les ongles. Bref, j'ai vécu une expérience un peu bizarre. Je ne reverrai sans doute pas tes Huit Salopards (y'a que les cons qui ne changent pas d'avis !) mais je m'en vais courir revoir le reste de ta filmo. Sauf Boulevard de la Mort, faut pas pousser non plus.

letitmec
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le 8 janv. 2016

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