août 2012:

Ce qui m'étonne le plus aujourd'hui, c'est combien j'ai pu prendre au sérieux cette histoire quand j'étais plus jeune. Avec l'âge et une culture ciné un peu plus étoffés, j'ai le sentiment qu'il s'agit là bien plus d'une comédie, certes très noire, violemment noire, mais dont l'histoire et les personnages s'inscrivent davantage dans un registre comique. De façon fondamentale, le ridicule de ces trajectoires propose un regard ironique sur cette histoire tout en ayant pour les personnages une certaine part d'affection, malgré la malveillance des évènements que leur fait subir ce magnifique scénario.

De prime abord cette saga familiale développe une trame mafieuse classique, grandeur et décadence avec toute la passion d'une tragi-comédie antique méditerranéenne dans laquelle la fidélité, la famille, l'amour, la violence et la mort forment les piliers centraux du récit et des interrogations existentielles.

Comme souvent chez Scorsese, le plus important se loge dans l'extraordinaire maitrise de la mise en scène due à une écriture scénaristique aux petits oignons. Maintenant encore, je suis bluffé par cette incroyable capacité à relier les évènements entre eux : les étapes de l'histoire sont imbriquées les unes aux autres avec une finesse et une intelligence telles que la lecture de ce film apparait comme un seul et même trait. Fluidité remarquable, lisibilité sublime et plaisir du spectateur au comble d'une joie parfaite.

On reconnait aux grands cinéastes cette aisance à raconter des histoires, à les faire apparaitre leurs fictions plus vraies que nature. Comme si c'était si simple. Pourtant ils sont rares à manier aussi bien les fils ténus du langage cinématographique.

Dans cette famille des réalisateurs/scénaristes capables de dominer leurs sujets avec tant d'agilité, Scorsese semble se rapprocher de Powell et Pressburger notamment, mais c'est sans aucun doute le fait d'avoir vu récemment "Les chaussons rouges" qui me fait dire cela. Il y a chez ces auteurs une continuité, une linéarité dans la qualité de l'écriture qui saute aux yeux : pas une seule scène à jeter, toutes sont légitimes, essentielles à l'élaboration de l'histoire. A l'instar d'un athlète de haut niveau, il n'y a pas une once de graisse à déplorer. Le scénario est affuté au possible. Cela en devient très impressionnant. Je viens de voir deux grands films, coup sur coup, laissez-moi vous ne pas me remettre de ce genre d'émotion, merci.

Quand on parle de grand film, de grand scénario et de grand metteur en scène, il s'avère impossible de ne pas y ajouter de grands acteurs. Toutefois ce n'est pas Ray Liotta qui me saute aux yeux, ni même Robert De Niro, même s'ils sont superbes, mais bien plutôt Lorraine Bracco, Joe Pesci et Paul Sorvino.

Commençons par la dame. J'irais jusqu'à dire qu'avec celui de Sharon Stone dans "Casino", ce rôle de Karen Hill est sûrement l'un des personnages féminins les plus aboutis que nous aura proposé Scorsese dans sa filmographie (bien que je ne la connaisse pas encore dans sa totalité, je suis prêt à parier). C'est peu dire si elle m'a captivé. Ce personnage est pourtant très exigeant, casse-gueule au possible, tutoyant allègrement des sommets d'hystérie, ce qui habituellement me semble insupportable mais qu'elle a su rendre visible. Pour moi, c'est un joli cadeau de comédienne.

Joe Pesci joue souvent le même rôle de petit roquet surexcité et avec tout ce que peut laisser supposer d'agaçant. Mais ici, il réussit à toujours rester dans les limites, ne frôlant même pas le ridicule. Et puis avouez qu'il est le seul capable de bien jouer "Joe Pesci". Souvent copié, jamais imité. C'est devenu une marque de fabrique sur laquelle il s'est depuis d'ailleurs malheureusement un peu trop reposé. Dans ce cadre un peu réduit, il campe ici un personnage de malade mental plus complexe qu'il n'y parait de prime abord. Il est juste formidable. Très fort.

Dans la figure tutélaire du parrain Paul Sorvino n'est pas mauvais. Il a une bonne tête, plutôt sympathique, ce qui correspond parfaitement à l'espèce de naïveté affective qui le perd.

Un casting de rêve, une écriture somptueuse, la mise en scène qui va avec, "enlevée" est le terme qui me vient à l'esprit par son dynamisme enchanteur, le film passe aisément dans la catégorie "grands films" de Michael Scorsese.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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Alligator

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