Odette est une femme qui n’a pas la langue dans sa poche. Plutôt impulsive, quelque peu provocante, elle vit de petits contrats pour des pubs ou des particuliers, en tant que danseuse, sa passion depuis l’enfance. Mais son comportement n’est pas uniquement dû à un mauvais caractère ou une insouciance sur son avenir professionnel : elle a en effet été violée étant enfant par un ami de la famille, à plusieurs reprises. Elle enfouit depuis ces terribles souvenirs, en négligeant leur impact traumatisant. Jusqu’à ce qu’elle décide d’en parler…


Directement inspirée de faits réellement vécus par la réalisatrice et principale actrice du film Andréa Bescond, cette dernière a en effet passé par plusieurs années de thérapie, et c’est sa passion pour la danse qui a contribué à lui permettre d’aller de l’avant. Elle a choisi d’exposer en long-métrage, après avoir réalisé une pièce de théâtre, son parcours éprouvant pour traiter son traumatisme et entamer la longue marche vers la guérison. Un parcours qui n’a pas été facile, un suivi psychologique dispersé entamé bien des années plus tard, entrecoupé de déceptions sentimentales, de conflits avec les parents et d’errances professionnelles.
Malgré un sujet ô combien grave, Andréa Bescond a choisi une approche originale, une approche décalée plutôt qu’anxiogène, se concentrant davantage sur la guérison que sur la détresse psychologique.


En plein récit de souvenirs, la jeune Odette se met en effet à voler sur scène, devant la professeure de danse pas du tout surprise « mais c’est un souvenir heureux, laissons là en profiter », et l’inquiétude de sa mère-souvenir pas trop rassurée par l’explication. Ce concept original, particulièrement insolite étant donné le sujet traité, le film va l’exploiter à plusieurs reprises. Lorsqu’elle raconte à sa psy, qui a décidément bien du mal à rester professionnelle, cette dernière se retrouve subitement dans l’évocation de ses souvenirs, apostrophée dans une scène cocasse par l’idole de la jeune fille « mais qu’est-ce qu’elle fout là cette grosse ».
Souvenirs vécus ou fantasmés, dans « les chatouilles », réel et imaginaire se conjuguent, les personnages réels s’immergent dans les souvenirs, tandis que les personnages des souvenirs s’expriment comme s’ils étaient réels.
Un concept original qui peut déstabiliser de prime abord étant donné la gravité du sujet, mais qui permet de très bonnes idées, indépendamment du thème du film. Une dérision bienvenue pour mieux supporter l’intolérable.
Un mélange dans l’ensemble plutôt bien réussi, même si dans la première partie du film, on pourrait regretter que le côté décalé atténue quelque peu l’ampleur dramatique. Pour autant, le sujet n’est absolument pas traité à la légère, tout l’impact psychologique, du déni aux tendances autodestructives, est développé de manière intelligente et pertinente.


Concernant l’ampleur dramatique, il est inutile de détailler toute l’horreur du sujet en question. L’enfance et l’innocence bafouée, l’insouciance prise au piège de l’impuissance par des actes que l’esprit est encore trop jeune pour comprendre. Une vie gâchée à jamais.
Une histoire beaucoup trop fréquente…


Tout d’abord, il lui a d’abord fallu en parler à quelqu’un pour la première fois, reconnaître que c’est arrivé, en reconnaître l’impact, affronter les répercussions, ne plus fuir. Car ce viol non avoué permet d’aborder sous un autre regard le déni, l’instabilité, la fuite dans la drogue, la danse ou les sorties, le caractère rebelle et provocant, et le rejet de tout ce qui pourrait la rendre heureuse, comme assouvir sa passion ou entretenir une relation amoureuse.
En parler, le reconnaître, et l’avouer.
Sauf que le monstre n’est pas un pervers encapuché dans une allée sombre, mais un ami de la famille. Un homme en apparence tout ce qu’il y a de plus correct, père de famille et mari aimant. Un homme qui s’avérera d’ailleurs inconscient du mal qu’il a occasionné, une sorte de pervers psychologique dénué d’empathie, un monstre qui s’ignore lui-même qui questionne notre vision du bien et du mal.
Avouer le viol ferait du tort à ses parents, qui ne sont jamais douté de rien, et attirerait l’opprobre du reste de la communauté. Ses relations avec sa mère, déjà complexes, vont se tendre d’avantage alors que cette dernière doutera de sa parole.
Mais il serait temps, un jour, de s’occuper de cette petite fille qui existe toujours dans les souvenirs de celle qui est désormais devenue femme.


« Les chatouilles » est donc un film sur la reconstruction après un événement immensément traumatique. Qu’importe que l’on ait été brisé, en souffrance pendant de longues années, il est toujours possible de vivre après, de se reconstruire, car ce qui compte, c’est l’avenir qui est devant nous, pas le passé. En ce sens, le choix de l’humour et la dérision se justifient pleinement. L’imaginaire n’étant pas une fuite de la réalité, mais un monde qui apporte l’espoir, des portes vers un avenir meilleur.


Le caractère de l’actrice-réalisatrice qui joue son propre rôle aide particulièrement bien à cette approche : fantasque, provocante, spontanée, et pourtant sensible.
Peut-être le mélange aurait parfois pu être mieux réussi, mais le film réussit l’improbable association de rire et de larmes, de dérision et de drame, d'espoirs et de douleurs écrasantes.

Enlak
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le 26 déc. 2018

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Enlak

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