C'est le grain de l'image qui envoûte, dès les premières minutes : la pellicule fauve, douce et solaire qui enrobe et veloute décors et personnages. Et puis, nous voilà plongés dans une petite échoppe à dorayakis (sortes de pancakes fourrés aux haricots rouges confits qui vous mettront l'eau à la bouche) tenu par un homme taciturne qu'aborde un matin une vieille femme souriante qui lui propose d'entrer à son service. Face à ses refus répétés, Tokhue va alors abattre sa carte-maîtresse : SA pâte aux haricots rouges, la fameuse An du titre original, que l'homme va goûter avec ravissement. Il accepte ensuite de travailler avec elle et, rapidement, les clients affluent par dizaines avant même l'ouverture pour se gorger des merveilles sucrées.
J'ai retrouvé dans ce film tout ce que j'aime en littérature et en cinéma japonais : de la sobriété dans l'expression des sentiments, de la pudeur, une grande délicatesse visuelle - les plans de coupe naturels, cerisiers en fleurs ou branches entre lesquelles jouent les rayons du soleil, sont d'une poésie sans pareille - et des personnages très vrais qui vous touchent en plein cœur. L'actrice choisie pour incarner Tokhue est bouleversante de sagesse, d'humilité et de bienveillance et est à elle seule une raison suffisante pour se laisser porter par ce conte humaniste et attachant.
Mais An est également l'occasion pour la réalisatrice Naomi Kawase d'offrir à la spiritualité japonaise un écrin esthétique qui sert à merveille l'illustration de ses préceptes : attention aux éléments, respect du vivant, animé ou non - mais aussi de la hiérarchie - culte des anciens, importance de l'héritage que l'on laisse derrière soi. Le personnage de Tohkue (la seule femme que vous verrez s'adresser aux haricots rouges qui cuisent) est un fantastique levier philosophique dans cette histoire qui traite d'acceptation de l'autre, de dépassement des préjugés, de ce que l'on transmet, de l'attention aux petites choses de la vie, à ses plaisirs simples.
Tout ce qui existe en ce monde possède son propre langage.
La dernière partie permet à la réalisatrice de magnifier cette femme invalide qui a trouvé dans la gastronomie le moyen de passer aux autres sa joie d'être au monde. Elle qui est à l'automne de sa vie souhaite faire comprendre à cet homme et à cette jeune fille qui l'émeuvent qu'ils ne doivent pas craindre de faire confiance à la vie, de chérir leur liberté (l'allégorie du canari en cage est bien là pour illustrer ce principe), et de faire ce qu'ils aiment.
On pourrait sans doute reprocher à ce film sa trop grande tendance à aller vers les bons sentiments, tout en n'hésitant pas sur quelques longs plans séquence méditatifs qui, regardés tard le soir, peuvent rapidement susciter un abaissement des paupières, mais malgré cela, c'est un film qui fait tant de bien au moral, fait tellement sourire, qu'on lui pardonne absolument tout.
An est un grand film solaire et doux, que file l'âme japonaise dans toute sa beauté et sa poésie (et qui m'a tant rappelée, dans son respect des aliments et du vivant, le superbe livre Le restaurant de l'amour retrouvé d'Ito Ogawa), textuellement et visuellement splendide, porté par des acteurs impeccables, qui ne laissera aucun cœur sensible indifférent.
Un shoot de bonheur, "An" ne manquer sous aucun prétexte !