Adapté d’un roman de Durian Sukegawa ("An"), "Les délices de Tokyo" est une histoire d'émotion. Par le biais de la cuisine et plus particulièrement de la recette idéale de gatêaux aux haricots rouges confits, les "doyarakis", la rencontre entre une dame isolée, un homme perdu et une lycéenne. Trois âges, de cette dame de 73 ans à cet homme d'une cinquantaine d'années en passant par la jeune fille en rupture familiale, trois personnes qui vont se réunir dans le silence, la poésie, quelques phrases simples et joyeuses pour des moments de légèreté où la préparation culinaire est un vrai moment de bonheur, de plaisir des sens, d'échange et de partage.


Suite à une annonce passée pour une aide-patissière, Sentaro reçoit la visite de Tokue. Trop âgée, ayant les mains abîmés, ce patron de cette minuscule échoppe, refusera. Mais de sourires courtois en insistance polie, Tokue ne n'en laissera pas compter, jusqu'à préparer SES haricots confits et les faire goûter, elle veut travailler et exister...et Santoro ne pourra que constater l'art culinaire de Tokue, qui va chambouler les habitudes des clients et donner un coup de fouet à cette petite échoppe, délabrée et perdue en milieu urbain.
Quelques gros plans sur la préparation de ces gâteaux, quelques siestes en attendant que la patte et les haricots reposent, mais le film ne s'arrête pas à cette seule considération de l'art de bien manger.


L'histoire nous parle de personnes isolées, de la mémoire, de la culpabilité et de la rédemption, de la maladie et du rejet, de la tolérance, de la passation, de l'écoute de l'autre et du don de soi...Le poids du passé pour Tokue, un drame pour Sentaro et la jeunesse qui se cherche pour Wakana, la lycéenne.
La rencontre salvatrice de ces personnages meurtris, renvoie aussi à la communion avec la nature. Tokue, faisant des signes au cérisier en fleurs, écoutant la brise dans le feuillage, passant un pacte avec la lune, discutant de liberté avec un canari en cage, ou de simples phrases avec un groupe de collègiennes qui renvoient à la liberté et à l'épanouissement. Un soupçon d'ésotérisme, un clin d'oeil à ce monde invisible que chacun décide de percevoir ou pas. Une belle fable, par le biais de cette femme privée de son identité, qui nous donne une leçon de vie et d'humanisme ou quelques trois fois rien formeront un joli tout !
Kirin Kiki, (Tokue) apporte une sensibilité emprunte de folie douce et d'optimisme. Masatoshi Nagase, (Sentaro) ("Mystery Train") tout en silence, souligne le désespoir. Mais de la main mise de sa propriétaire, envahissante, il devra choisir son chemin. Wakana elle, grandit et sera le témoin du changement.


Et puis vient le moment de la séparation et du traumatisme pour les uns et les autres. La visite au sanatorium nous plonge dans le concret, plus pesant mais toujours emprunt d'humanisme par une scène fortement émotionnelle avec ce monologue de Tokue face à Sentaro, crispé, yeux baissés à la limite de la rupture.


La question douloureuse du rejet prend ici forme avec la maladie de Tokue (la lèpre) et le rejet des personnes atteintes, pour nous remettre en mémoire que ce n'est qu'à la fin des années 1990 que la loi promulguera la fin de la quarantaine pour les personnes atteintes.
Naomi Kawase n'en oublie pas, malgré un film intemporel, à nous plonger dans la culture et l'histoire de son pays. Le Japon entre difficile modernité et pertes des traditions. Le jeu des acteurs est sublimé par une caméra au plus près des visages pour des émotions retranscrites tout en finesse et force. Un film apaisant, lent et un final moins léger mais qui reste poétique, pour une sorte de conte philosophique d'une simplicité réconfortante.
Une belle surprise qui évite le sentimentalisme, et pour finir cette phrase déconcertante de vérité : "même quand on n’a pas réussi sa vie on a le droit d’être heureux".

limma
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le 29 nov. 2016

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