Les éternels (2018) – 江湖儿女 / 136 min.
Réalisateur : Jia Zhangke -贾樟柯
Acteurs principaux : Zhao Tao - 趙濤 ; Liao Fan -廖 凡.
Mots-clefs : Chine ; Drame ; Pègre.


Le pitch :
« Les éternels » nous propose de suivre une bonne quinzaine d’année de la vie de Qiao, une jeune femme qui fricote avec Bin, un bad guy à la tête de la pègre d’un patelin minier du Shanxi. D’abord un peu frivole, l’ancienne danseuse n’hésite pas à plonger pour le compte de son pas-si-tendre amour qui s’est évaporé dans la nature depuis belle lurette quand notre héroïne sort de prison. Déterminé à retrouver le lâche, Qiao se lance dans un long voyage à travers la Chine, bravant la mafia et les distances, utilisant ses charmes et sa malice pour arriver à ses fins.


Première impression :
Jia Zhangke. Vous ne connaissez peut-être pas son nom mais il est à 48 ans l’un des principaux réalisateurs chinois contemporains. Issus de la scène underground, censuré par le gouvernement communiste à ses débuts à causes de lointaines origines bourgeoises, le jeune Jia Zhangke devient dès la fin des années 90 l’une des têtes de ponts du cinéma indépendant de son pays. Remarqué à l’international, le réalisateur est un habitué des festivals mondiaux et signe son coup d’éclat en 2006 en remportant le Lion d’Or à la Mostra avec son film Still Life mêlant fresque romanesque, Chine en pleine période de changement et enjeu de société. N’ayant pas assez exploré le cinéma chinois jusqu’ici et n’ayant jamais vu une œuvre de ce réalisateur, j’ai décidé la semaine dernière de rattraper mon retard et de voir son denier film en date, sélectionné à Cannes en 2018 : « Les éternels. »


Mafia, grands paysages et sentiments, « Les éternels » semblait tout avoir pour nous promettre une belle aventure romanesque un brin contemplative matinée de frissons. Si on y ajoute une affiche sublime, une bande-annonce maîtrisée et ma nouvelle curiosité pour le cinéma chinois, c’est en courant quatre à quatre que je me rendais dans une des rares salles indépendantes diffusant encore le film. Je sortais deux heures et demi plus tard un peu décontenancé et un peu déçu par ma non rencontre avec un grand nom. C'est-à-dire, que sans être un mauvais film, « Les éternels » ne nous raconte hélas pas grand-chose et n’arrive pas non plus à basculer dans le film d’ambiance qui pourrait nous faire oublier la linéarité du scénario.


Le film avait pourtant bien commencé en nous plongeant au sein d’un gang de petites crapules de province. Caméra à l’épaule toujours proche de ses personnages et plans serrés, le quotidien du gang nous est dévoilé par petites tranches de vies dans les salles de jeu clandestines ou sur les dance floor de troisième zone tandis que s’ourdit dans l’ombre une lutte de pouvoir que l’on subodore déjà comme rapide et féroce. Hélas, première déception, Jia Zhangke n’est pas là pour nous compter une sale histoire de vengeance et si les petits meurtres entre amis ont bien lieu, ils se passent majoritairement hors champs. Plutôt que des scènes de tensions, le réalisateur-scénariste semble préférer se concentrer sur les conséquences de la vie de caïd et après tout, pourquoi pas. La deuxième partie s’annonce et Qiao, qui vient de sortir de prison, part, misérable, à la recherche de Bin son ancien amant. La voici qu’elle traverse une Chine en pleine transformation et le film de se tourner vers ce qui semble devenir un drame social et amoureux façon « Un grand voyage vers la nuit ». On se prend alors à rêver d’un grand démarrage onirique qui n’arrivera jamais puisque la piste est elle aussi expédiée à la façon d’un mauvais drama. Deuxième déception. La dernière partie, presque anecdotique, revient nous montrer les liens humains chez les ex-petits caïds et décide de ne plus rien raconter avant une fin aussi molle qu’ennuyeuse.


Si je fais le total, bien que le film ait un bon cadre, une bonne musique, une belle image et globalement de bons acteurs, qui ont des « gueules », le dernier film de Jia Zhangke est beaucoup trop apathique. Je ne suis pas du tout un fan de l’émotivité sur-jouée, mais ici, le film comme les personnages manquent sérieusement d’émotions. Si je n’ai rien contre le principe de refuser au spectateur un spectacle promis pendant le premier tiers du film, il aurait fallu à mon sens lui proposer quelque chose de beaucoup plus fort que la soupe à la flotte qui a suivi ce refus. Rien qu’un exemple, une des plus belles scènes du film place Bin et Qiao devant un volcan éteint. Qiao dit à Bin que les cendres d’un volcan sont les plus pures qui soient puisque tout ce qui brûle à haute température est lavé de ses impuretés. Un dialogue repris dans le titre anglais (Ash is purest white) qui devrait donc être annonciateur d’une forme de radicalisme et de consumation des personnages par eux même. Hélas, ce feu purificateur n’arrive jamais puisqu’au contraire, la seconde partie du film s’enfonce irrémédiablement dans une forme de mollesse scénaristique. Même si certaines scènes sont belles, même si certaines font rires, même si certaines font miroiter l’onirisme, même si d’autres amène un certain nihilisme, Jia Zhangke ne pousse jamais entièrement la porte de l’émotion et reste globalement sur des choix tièdes alors qu’il avait tous les éléments pour proposer un grand film.


Pour conclure, « Les éternels » fut une petite déception devant laquelle je me suis plus souvent ennuyé qu’à mon tour. Bien que je ne nie pas la qualité plastique du film, Jia Zhangke est très loin de m’avoir offert un moment impérissable et je pense très sincèrement que j’aurais oublié l’histoire d’ici deux ou trois mois. Bref, un film mou du genou dont je ne comprends absolument pas la sélection officielle à Cannes alors que « Un grand voyage vers la nuit » de Bi Gan, beaucoup plus cohérent et couillu, était cantonné à la catégorie « un certain regard ». Vous l’aurez donc compris, si je ne déconseille pas le film, je suis loin de le recommander et je vous invite plutôt à vous pencher peut-être sur d’autres films du réalisateur si vous souhaitez découvrir son œuvre.

GwenaelGermain
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le 13 mai 2019

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