Après son septième sceau, la carrière de Bergman, qui jouit désormais d'une reconnaissance mondiale, aussi bien cinématographique que théâtrale, est à son apogée. Sa vie personnelle, en revanche, est en bataille, tant est si-bien qu'il se considère alors comme étant un échec, en dépit de son éclatante réussite professionnelle.


C'est ainsi que cloué sur son lit d'hôpital, alors qu'il se fait opérer pour des ulcères gastriques dont il se plaignait régulièrement, et se retrouve esseulé et boudé par un environnement social dont il a tout fait pour s'isoler, Bergman écrit le script -évidemment très égotiste- de ce Smultronstället qui lui fera office d'auto-analyse.


On y retrouve évidemment les thèmes de prédilection de Bergman, à savoir la peur de la mort, la religion, la nostalgie envers un état de bonheur perçu comme juvénile et révolu, les tensions sociales et psychologiques qui prennent racine dans les problèmes de communication humaine, et ici plus particulièrement les regrets et les rendez-vous manqués, nourris par une certaine posture -défensive à l'excès- vis à vis de la vie.


Evidemment, Bergman ne fait que se raconter lui-même et ce qu'il confesse ici c'est comment, au final, une nature froide, distante et défiante qui s'est révélée au passage à l'âge adulte, et en réaction à la perte de ses illusions (philosophiques et métaphysiques) infantiles, ne produit en retour que davantage de froideur, de défiance et de déception de façon auto-réalisatrice. C'était déjà le même constat qu'il faisait à l'issue de son premier "gros" (en terme d'importance) film, Sommarlek, et celui-ci reste toujours d'actualité à une période où l'atavisme de Bergman l'a isolé des siens.
L'interprétation de Victor Sjöström (ici Isak Borg, soit I.B., mais aussi Is Borg : la forteresse de glace), pleine de flegme et de dignité, mais régulièrement touchante, donne énormément de force à ce récit halluciné, au fil duquel ce vieux professeur, confronté à sa madeleine de Proust (ici le fameux bosquet de fraises sauvages, représentant récurrent de la symbolique bergmanienne), voyage avec fluidité entre le présent et le passé pour résoudre le mal qui le tiraille en confrontant les vices fondamentaux de sa nature.


Eussent-elles été servies aussi froidement que Såsom i en spegel, Nattvardsgästerna, Tystnaden ou bien d'autres éléments de la filmographie du suédois, ces fraises sauvages auraient pu avoir un goût plus amer. Mais c'est la touchante bienveillance dans laquelle baigne le film, où les petites attentions et regards qui émergent timidement entre cet handicapé du verbe qui cherche maladroitement et peu fructueusement à abattre les remparts qui l'isolent de ses prochains percutent plus que de grandes tirades, qui fait de Smultronstallet un chef d’œuvre.


Sans-doute parce qu'il réussit comme peu d'autres film à retranscrire et rendre intuitive la compréhension des mécanismes psychologiques de l'isolement affectif et social.

SummerWin
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le 27 avr. 2019

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Cool Breeze

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