Revisiter l'histoire des frères Grimm pour en faire un mash up de contes à la Sleepy Hollow, ce n'est pas ce que Gilliam nous faisait attendre après sa période d'assagissement. N'ayant produit que l'expérimental Las Vegas Parano depuis L'Armée des douze singes, la pression sur lui était énorme et son choix a été... d'y tourner le dos. Poursuivi par sa capacité à se faire aimer puis haïr d'un film à l'autre, le réalisateur entretient (exprès ?) la malédiction en renouant avec son humour originel et sa tendresse pour l'absurde visuel.


Le visuel est en tout cas ce qui nous fait entrer dans son monde en premier, et c'est par lui qu'il va défier les attentes du public. Embrassant la technologie, il fait tout pour harmoniser ses instruments : décors, cadrages, tout est misé sur la fluidité technique à partir du moment où la patte de l'artiste est reconnaissable. Dans le même temps, il mêle les genres, tirant partie du terreau surnaturel et des forêts germano-tchèques en les prenant aussi bien au pied qu'au contrepied de la lettre, ce grâce à quoi il fait tenir en équilibre à la fois le frisson procuré par l'inconnu à des villageois simplets et l'humour provoqué par la moquerie de cette ignorance. Gilliam est donc partout et tient à ce que sa caméra roule aussi sa bosse, se faisant ici maltraiter, là l'objet de prises de vue complexes. Tout est bon à tout faire.


Il veut qu'on soit surpris à chacun de ses films, mais quelque chose ici l'empêche d'en profiter. Les frères Grimm, doué d'une sorte d'ubiquité stylistique, ne nous fait pas voyager. En fait, il ne nous laisse même pas essayer. Il n'est pas le coup d'œil promis sur le monde enchanté qui évolue en parallèle du nôtre et que Burton allait chercher, justement, dans Sleepy Hollow. Il ne tient pas non plus la promesse qu'il nous fait de resituationner les contes de Grimm sous un angle cartésien, et n'est pas très subtil dans sa manière de rappeler que la vérité est souvent plus sombre que le récit qu'on en a rapporté.


Pourtant, le film avait carrément le potentiel de remélanger les cartes hollywoodiennes. Par exemple, il n'était pas gagné d'avance de réunir Damon et Bellucci, et le bestiaire fantasmagorique du réalisateur s'exprime avec une fermeté nouvelle qui l'autorise à placer des scènes presque... effrayantes. Hélas, d'autres sont bêtes, et c'est cette idée fixe de prendre son propre contrepied qui fait de l'œuvre un pétard mouillé. En bref, Gilliam veut trop en faire et ce qui aurait dû être un conte des contes promis au sous-cotage n'est finalement qu'un charabia impossible à prendre au sérieux.


Quantième Art

EowynCwper
4
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le 26 sept. 2020

Critique lue 105 fois

Eowyn Cwper

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