Avec sa réputation de plus américain des réalisateurs français, il fallait bien que Jacques Audiard finisse par exporter son cinéma en terre hollywoodienne. Mais il le fait avec une épatante intégrité et sans vendre son âme, tant son Sisters Brother est fidèle à l’essence de son cinéma.
Naviguant dans un environnement très identifié et peu amène, ses personnages sont toujours le cœur d’un récit qui se nourrit de la profondeur des relations qu’ils tissent entre eux.
Que Audiard s’attache à raconter une histoire se déroulant durant la conquête de l’ouest découle d’une certaine logique tant il est question dans son cinéma de trouver sa place sur un territoire changeant, de survivre dans un environnement hostile.
Cependant, on est assez loin du Western Spaghetti et de Sergio Leone, Les Frères Sister se présente plus comme un road movie rude et intime qui s’attarderait sur les âmes plus que sur les armes (qui vrombissent tout de même bien comme il faut)
Encore une fois, impossible d’être déçu par la mise en scène du réalisateur qui par de superbes plans imposent un Far West fantasmé dans des décors splendides (les extérieurs du film ont été filmé en Espagne). Son sens de la narration est comme toujours inattaquable, toujours aussi précis, son montage aussi fluide. Comme pour chacun de ses longs-métrages, on en sort en se disant qu’il n’y a rien à jeter, ni rien à ajouter.
Il circonscrit ici cette histoire de traque et de mercenaires assez basique à une histoire d’hommes et de fraternité. Avec en toile de fond, la naissance d’une nation pleine de promesses qui sont autant de pièges, il dirige un attelage d’acteurs surprenant et hétéroclite, questionnant la virilité (comme souvent dans son œuvre), mais ici sous différents angles. Le quatuor est magistral et compense des dialogues par moments moyennement inspirés. La relation entre les deux frères, paradoxale, aussi forte dans leur complicité qu’intense dans leurs incompréhensions est magnifique. Joaquin Phoenix est évidemment parfait, il parvient à apporter de la sobriété à l’excentricité de Charlie. L’association avec John C. Reilly est de prime abord surprenante, mais ce dernier est époustouflant en Eli Sisters, tueur de sang-froid lorsqu’il s’agit de remplir sa mission ou de protéger son frère, mais boule d’humanité quand il s’occupe de son cheval blessé ou se remémore des temps plus doux. En contre-poids de ce couple fraternel, le duo qu’ils pourchassent est tout aussi passionnant. Parce que ce sont deux grands acteurs (Jack Gyllenhaal, Rid Ahmeh), parce que leur jeu plus sophistiqué contraste avec d’une part la rudesse des frères Sisters, et d’autre part la dureté de la conquête de l’ouest, parce que l’ambiguïté de la relation se construit doucement et se poursuit jusqu’à un final sobre mais déchirant.
Le choix de ces quatre acteurs n’est pas anodin dans la réussite de Audiard, qui délivre un anti-western habité, mêlant âpreté et douceur inattendue.
Un début américain très convaincant pour le réalisateur français, qui évolue sans pour autant renier son cinéma humaniste.

Thibault_du_Verne
8

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le 28 sept. 2018

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