Ignoble titre français pour ce film magistral, sorte de penchant baroque italien au Blow-Up de Antonioni. On y retrouve d'ailleurs le même acteur, le génial David Hemmings, et peu ou prou, les mêmes axes de prédilection : la perception, le regard, le délire paranoïaque. Mais là où Michelangelo donnait dans la froide théorie, offrant ainsi une oeuvre diablement intelligente mais trop hermétique pour réellement me convaincre, Dario laisse littéralement les fantômes du giallo s'animer dans une hallucinante démonstration de maîtrise.
On y retrouve d'ailleurs tous les codes du genre : tueur masqué aux mains gantées, vue subjective, investigation, twist final ... etc. En fait, le film est dans la stricte continuité du premier Argento, l'Oiseau au plumage de cristal, dans une version revue et corrigée. Il est vrai que ce premier long métrage offrait déjà de très belles idées de mise en scène, mais se mangeait quand même tous les gimmicks un peu vulgaires et putassiers du giallo (zooms, dézooms, scénario abracadabrant, deux ex machina en veux-tu, en voilà) et souffrait de l'inégalité très typique du cinéma de Argento entre séquences horrifiques inspirées et scènes de dialogue plus fades. Chez Argento, la faiblesse de certains actes contrebalance souvent la virtuosité et la minutie des plus beaux passages.
Exception faite de ce Profondo Rosso, où Argento parvient à transcender tous les côtés cheap du bis italien, par un soin constant de la mise en scène, et de la photographie, tiraillée entre le noir et le rouge. C'est là tout le caractère expressionniste et baroque de l'oeuvre, avec ses jeux de miroir et d'ombre appuyées, ses teintes vermeilles éclatantes. Et une réalisation à se damner donc avec cette profusion de travellings sublimes, cette alternance sophistiquée entre plans larges et rapprochés, entre plans longs et plans courts. Sans oublier l'inquiétante partition de Goblin, créant un malaise évident chez le spectateur.
Profondo Rosso est, ainsi, à ranger du côté des films qui font flipper, mais son étonnante richesse esthétique et thématique, la beauté lancinante qui s'en dégage l'élèvent encore plus haut, au stade de grand film tout court. Au-delà des frissons, un travail d'orfèvre tout simplement.