Au début du XXe siècle, cinq adolescents tuent leur professeure de lettre. S’ils évitent de peu la prison, ils sont en revanche confiés à un inquiétant capitaine soi-disant porteur d’une méthode pour amadouer les garçons trop violents. Un voyage aussi initiatique que psychédélique commence alors.
Si Bertrand Mandico signe là son premier long-métrage, il a déjà à son actif une série de courts-métrages aussi expérimentaux qu’improbables avec Jeanne d’Arc tortionnaire, monstres phalliques et autres aventures kitschs et surréalistes où l’absurde se mêle à l’érotique. C’est entièrement dans ce registre que s’inscrit Les Garçons Sauvages.
Les Garçons Sauvages fait partie de ces films purement sensoriels qui se ressentent plus qu’ils ne se comprennent. Une véritable symphonie visuelle, déviante et inclassable. Mandico y convoque des influences de tout bord qu’il semble avaler, digérer puis régurgiter pour en sortir quelque chose de nouveau. Ainsi nous croisons dans le film les ombres de Jules Verne et de R.L Stevenson pour l’aventure initiatique par-delà les mers, celles de Rimbaud pour son ode à la jeunesse débridée, de Cocteau pour sa traversée onirique, de William Burroughs auquel le titre fait directement référence, et Borowczyk, et Orange Mécanique et Sa Majesté des mouches, on pourrait faire la liste pendant encore longtemps.
Film qui se vit comme un trip, Les Garçons Sauvages regorge de motifs souvent à haute portée symbolique : chien noire (symbole de passage d’un monde à l’autre) arborant une tête d’homme, île déserte en forme d’huitre, statues vivantes, femmes plantes, arbres à sexes, énorme pénis tatoué, démon incarnant les pulsions meurtrières, tout est fait pour frapper le spectateur et le sortir de sa zone de confort. Cela pourra sembler lourdingue à certains, Mandico n’en a cure et assume. Le monde de Les Garçons Sauvages est un monde parallèle teinté de désir et de mort, et où les fluides corporels suintent de toute part. Et l’esthétique ne fait que renforcer cet inconfort : outre son festival d’inventions renvoyant directement à l’époque du muet avec ses surimpressions, ses collages et ses regards caméra (nous invitant rejoindre la bande ?), le réalisateur s’amuse aussi énormément avec la couleur alternant subitement noir et blanc (qui recouvre la majeure partie du film) avec des scènes de couleurs vives et agressives comme autant de coup de poings lancés au public. Le tout filmé à la pellicule afin de renforcer la matérialité de cette atmosphère moite et suintante et accompagné par la musique hypnotique de Pierre Desprats.
Tout cela aurait cependant fait risquer à Les Garçons Sauvages de n’être qu’un pur exercice de style un peu vide s’il ne se dégageait du film des interrogations réelles concernant sur notre rapport au genre et à l’identité sexuelle. A noter tout d’abord le choix de Mandico de prendre des actrices pour jouer ces garçons violents et libidineux qui confère aux personnages ce caractère androgyne troublant (coup de cœur notamment pour Vimala Pons qui délaisse ici son rôle-type habituel pour se muer en chef de bande sadique). Commençant par le viol et le meurtre de la professeure, choquant par sa sublimation, le film confrontera la sauvagerie de ces jeunes éphèbes à la répression du capitaine, incarnation de l’autorité paternelle. Mais peu à peu au terme de multiples transitions et de métamorphoses, les identités finiront par se fissurer, se fissurer avant de voler en éclat pour aboutir au final à l’avènement d’un nouvel état prêt à conquérir le monde.
A une époque où fleurissent un peu partout les discours réactionnaires appelant à la défense d'une soi-disant virilité masculine menacée, Les Garçons Sauvages, hymne à la féminité, au transgenre et à l’insolence, apporte une réponse cinglante faisant office de bol d’air vivifiant.