J'ai beaucoup aimé ce que nous a proposé Agnès Varda ici. Film intelligent, et même touchant. La démarche est très intéressante ; la démarche de Varda est généalogique. Elle dresse la généalogie du glanage. Car le temps des glaneuses de Millet est bien révolu. Aujourd'hui, les sans-abris ou ceux qui souffrent de la faim sont aussi des glaneurs ; glaneurs de déchets, glaneurs de récupération. Et ceci est également valable en milieu rural ; glanage de cultures abandonnées, parfois légal, parfois non. Mais on peut glaner tellement d'autres choses... Comme le dit Varda, à partir de la définition au sens figuré du terme ‹‹glanage››, on peut glaner des faits, et pourquoi même des souvenirs. Tout comme les collectionneurs ou ceux qui font del a récupération glanent les objets usés, qui sont plus beaux car ils ont déjà un vécu. La récupération, c'est donc aussi une des formes modernes du glanage. Mais on y glane, dans ce monde moderne, des cadavres, à cause des marrées noires qui ont été très fortes vers la fin des années 1990 et le début des années 2000. Ainsi, on glane l'oiseau blessé, voire l'oiseau mort. Que de pratiques du glanage !


Mais surtout, Varda elle-même est une glaneuse. Elle est la glaneuse du titre du film, la glaneuse qui glane les images des glaneurs. Varda parle donc aussi de Cinéma, qui est une activité du glanage, glaner des sons, des images, des plans, des moments, et elle le fait si bien. Le titre est vraiment judicieux et a un double sens qui plus est : le glanage était presque exclusivement féminin à l'origine. L'image de la glaneuse est iconique ; mais aujourd'hui, tout cela a changé, et le glanage se fait aussi bien par des hommes que par des femmes. Les glaneurs modernes remplacent la glaneuse d'une époque révolue. Mais la glaneuse, c'est aussi Varda, qui confronte les glaneurs modernes.


Ce qui est beau, c'est qu'Agnès Varda donne le droit de parole à tout le monde, et notamment à ce qu'on appelle péjorativement ‹‹les petites gens››, les pauvres gens. Elle nous donne aussi le droit, à nous, de les écouter. Et tout cela est tellement bien filmé.... Varda est un très grand réalisateur, il y a une certaine grâce parfois qui se dégage de ces gens, un peu comme dans les films de Bruno Dumont par le biais de la fiction néanmoins. C'est un documentaire qui a pleins de belles idées de Cinéma, des idées parfois involontaires d'ailleurs, avec cette fameuse scène de la danse du bouchon d'objectif ! Mais cette scène est pourtant fabuleuse, Varda est alors glaneuse malgré elle. La danse des sécateurs est une scène fabuleuse, il en ressort à nouveau une grâce incroyable, ces gens, en plus d'être écoutés, sont beaux. La scène introductive est également d'une grande beauté cinématographique, lorsque Varda ouvre son dictionnaire pour nous définir les termes importants pour son film. Et qui plus est, Varda se filme elle-même, et voir Varda ramasser des pommes de terre en forme de coeur, c'était tellement beau, plein de sensibilité. Varda filme vraiment la France, et non pas une France fantasmée. Elle est dans le vrai. Il y a d'ailleurs une utilisation judicieuse de certains extraits de rap français ! Je ne connaissais pas les chansons en question, je me suis même demandé si cela n'avait pas été composé pour le film tant cela colle bien, mais je ne crois pas. Mais j'ai trouvé ça originale, et Varda continue donc de filmer la France telle qu'elle est, car dans le monde urbain français d'aujourd'hui, le rap français est bien l'une des cultures populaires les plus importantes depuis près de 20 ans. Et elle donne donc le droit aussi au rap français d'exister dans son film (et ça ne peut que me réjouir étant fan de rap français).


Par ailleurs, Varda aborde également le thème de la mort, de sa mort. « Je suis une bête que je ne connais pas » dit-elle. Par sa vielle main, Varda arrive, avec humilité et sensibilité, à parler de la mort… Elle sait que c’est pour bientôt. Elle semble à la fois terrifiée et sereine. C’est une femme d’une très grande humilité. Mais la vieillesse ne peut que faire peur ! « La vieillesse est en lent naufrage » disait De Gaulle.


Je n'ai pas forcément été passionné, mais une séquence m'a véritablement intéressé : celle du comparatif de points de vue entre le juge (et ceux qui portent plaintes vis-à-vis de ces jeunes qui ont fait acte de violence), et ces jeunes accusés et condamnés (petite condamnation, certes). Le montage y est extraordinaire, et Varda filme simplement le vrai sans orienter le spectateur, un peu comme peu le faire Herzog dans certains de ses documentaires. Tout le monde est enfermé dans son petit microcosme, refuse d'écouter l'autre, et cela ne peut mener, comme elle le dit, qu'à un dialogue de sourd, à une certaine absurdité.


C'est un film très intelligent, la démarche généalogique est vraiment intéressante et bien traitée, avec de très belles idées de Cinéma. C'est un documentaire d'une très grande qualité ; et même si je n'ai pas été passionné tout le long, certaines séquences étaient très touchantes. Un beau film.

Reymisteriod2
7
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le 11 déc. 2019

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Reymisteriod2

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