L'Antéchrist de la puberté (allégorie de la pré-adolescence)

Les plans sur la ville dans la montagne boisée sont magnifiques, il faut reconnaître: des pins immenses, des routes escarpées, des maisons bourgeoises en dévers émergeant de la brume, c'est beau.


Les gamins sont lookés comme pas possible, et vas-y que je me la pète en chemise hawaïenne "à la Higgins", que je balade ma dégaine de surdoué japonais en imperméable édition "Inspecteur Gadget", que je me la joue italian lover en veston à 12 ans et demi et tutti quanti. Bon, 1985 est une bonne année pour ce genre de mise en scène, techniquement parlant, car 1985 est beau.


D'ailleurs, le meilleur reste à venir: le grand frère embarque deux copines avec lui, une pom pom girl énamourée (pas mal) et une garçonne faussement coincée (déjà plus intéressant). Et c'est parti pour une cavalcade endiablée dans les grottes mal famées du pirate Willy le Borgne. C'est inattendu, humide, sombre et bourré de mauvaises surprises (allégorie de la pré-adolescence). Parfois drôle grâce au dodu de la bande (Choco) et son acolyte, le grand, l'immense Sinok.


L'essentiel est là, et allons-y, disons-le franco, le film tient là-dessus: le monstre horrible bercé trop près du mur n'est pas seulement un "gentil" (on s'y attendait) qui aide les enfants à vaincre les "méchants", c'est aussi un parfait semi-débile qui aime rire de lui-même -et pas seulement un Elephant man calibré rigolo pour jeune public.


Entre-temps (petit détour par la fin pour comprendre l'essentiel), le film arrive à son terme: l'éthique est sauve pour nos héros, le projet immobilier qui mettait en péril la pérennité de la bande de copains échoue, ça pue la leçon civique et morale. Pourtant, d'un point de vue de spectateur, on ne se sent pas souillé par overdose de moraline. Grâce à qui ? Sinok, bien sûr, ce boute-en-train de fête foraine qui dégonflerait toutes les cul-cul-la pralineries de l'industrie du cinéma à lui tout seul.


Faisons un pas de côté et imaginons un instant Sinok débouler en faisant ses conneries avec son t-shirt Superman et sa tête de mutilé de guerre façon gaz moutarde et baïonnettes aux deux-tiers de long-métrages tels que:
- Et au milieu coule une rivière
- Les uns et les autres
- Un singe en hiver
- Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle)
- Jules et Jim
- n'importe quel film de Guillaume Canet


Voilà. Parce que, à l'inverse, ce n'est pas le Sinok en tant que tel qui fait cet effet: la preuve, dans Star Wars il y a plein de Sinoks (la scène du bar chelou dans je ne sais quel épisode) et ça ne donne pas tellement envie de rigoler. Parce que le Sinok, celui des Goonies, le seul, l'unique héros de cinéma pour enfants au visage dissymétrique, notons-le, n'est pas qu'un volte-face pour gamins de huit ans ("ouf, ça va, je suis rassuré, il ne va pas tous les tuer !").


Car Sinok EST l'enfant qui va basculer dans l'adolescence: l'enfant déjà plus trop sûr de lui, qui se voit à moitié comme un monstre car il a du poil qui pousse et la voix qui mue (Sinok a un drôle d'accent en V.F., c'est à noter). Sinok est tout ce à quoi les enfants qui entrent dans l'âge ingrat n'ont pas envie de ressembler.


C'est lui, l'Antéchrist de la puberté, le Pope de la laideur, le vrai-faux copain marrant dont t'as honte (et honte d'avoir honte), qui va sauver la mise aux Goonies à la fin (oui, oui, oui) après que ces derniers ont -on le rappelle- descendu une dangereuse grotte sombre (limite sous-exposée) et humide (ça glisse tout seul, cf. la scène du toboggan, lourde de sens).


Mais alors, Sinok est-il l'Ange exterminateur de l'adolescence tourmentée, le martyr sacrificiel qui prend sur lui les boutons d'acné pour offrir aux lycéens du monde libre les joies de sortir le samedi soir dans les surboums ?


Laissons le soin aux ayatollahs du Sinokisme répondre à cette maladive interrogation.

klinsmark
8
Écrit par

Créée

le 6 janv. 2017

Critique lue 741 fois

2 j'aime

klinsmark

Écrit par

Critique lue 741 fois

2

D'autres avis sur Les Goonies

Les Goonies
YellowStone
9

Oldies but Goonies

J'ai 26 ans et je viens de découvrir ce film, et pourtant, pendant deux heures très agréables, j'ai eu de nouveau 10 ans. Ce film est un formidable hommage à la curiosité, l'imagination, l'esprit...

le 21 mai 2013

58 j'aime

20

Les Goonies
Sergent_Pepper
4

Les morveux et le trésor de Tout en Carton

Revoir les hits de sa jeunesse et les transmettre à la nouvelle génération avait jusqu’alors quelque chose d’émouvant. On retrouve son passé, et l’on se rend compte qu’il a quelque chose d’atemporel...

le 30 déc. 2014

55 j'aime

22

Les Goonies
Fosca
8

The Choco's Goolies

Hier encore je n'avais jamais vu les Goonies... Voilà, je vais vous laisser dix secondes pour télépathiquement me lyncher et ensuite on pourra reprendre...

le 19 janv. 2016

38 j'aime

8

Du même critique

37°2 le matin
klinsmark
7

Histoire d'une fille énervante

La fille elle est trop énervante. Elle pique des crises pour n'importe quoi, elle fait sa princesse sans arrêt. Je veux pas croupir ici, il ne s'y passe jamais rien, on va aller crécher là-bas, je...

le 14 juin 2017

8 j'aime

1

4 aventures de Reinette et Mirabelle
klinsmark
9

« c'est nous qui avons besoin de la nature, pas l'inverse ! »

Il y a celle qui vit à la campagne et celle qui vient de la ville. Celle qui s'habille comme une godiche et celle qui se sape branchouille. Celle qui exprime un ardent désir de pureté, et celle qui...

le 19 août 2017

3 j'aime

Deux jours, une nuit
klinsmark
2

Clichés mal filmés

"Ah, mais oui monsieur, c'est comme ça: on veut bien la garder la chieuse, là, mais alors votre prime annuelle, bah vous vous asseyez dessus. Oui, monsieur, c'est ainsi, on n'a pas les moyens de vous...

le 21 mai 2017

2 j'aime