Wes Craven aura définitivement marqué le cinéma d'épouvante et d'horreur du XXème siècle. A la manière d'un Terrence Fischer qui a su marqué les esprits avec ses représentations de monstres mythiques de Frankenstein à Dracula, en passant par la Momie ou le Loup-Garou, Fischer et les studios Hammer ont laissé une trace indélébile dans l'histoire du cinéma fantastique et la pensée commune des cinéphiles. Comme ses compères John Carpenter, Joe Dante ou même Tobe Hooper, Craven est à l'origine de monstres, de figures mythiques à même de terroriser les salles bondées de spectateurs désireux de frissons et d'adrénalines. Ses films ne font peut-être pas l'unanimité sur le plan technique, mais ses scénarios semblent être une source d'inspiration inépuisable pour l'abondance de remakes, ces dernières années. La Colline a des Yeux (remake brillant d'Alexandre Aja), sa suite (très dispensable), La Dernière Maison sur la Gauche (réalisation correcte de Dennis Iliadis) et Freddy : Les Griffes de la nuit (produit par Michael Bay, pas décevant mais dispensable). Le réalisateur a de l'imagination et ça se sent particulièrement dans ce premier opus dédié à Freddy Krueger, l'un des boogeymans les plus terrifiants qu'il soit. Il convient également de rappeler à l'ordre sa saga parodique Scream, qui a relancé l'intérêt pour le slasher et a fait de Ghostface, une autre de ces figures terrifiantes du cinéma.

Ou est-ce que je veux en venir avec cette introduction ? Simplement signifier qu'à l'intérieur de cette filmographie marquante, et malgré des hauts et des bas, Craven aura marqué le cinéma d'épouvante et Les Griffes de la Nuit peut aisément être perçu comme son long-métrage le plus réussi. Un scénario suffisamment alambiqué pour maintenir un intérêt constant, créer du suspens et laisser libre cours à l'imagination des rêves aussi morbides soient-ils. Une intrigue qui joue avec les nerfs du spectateurs et colle à ce personnage de boogeyman effrayant et bavard. Le boogeyman de Craven pose les bases d'un monstre mythique de par son attitude mouvante, son physique reconnaissable entre milles et le principe même du personnage. L'originalité provient de l'impossibilité à échapper à Freddy. Comme tout le monde le sait, sa particularité provient du fait qu'il tue dans le sommeil de ces jeunes adolescents. Ainsi Craven se fait extrêmement plaisir en construisant une intrigue tortueuse qui oscille entre le monde du rêve et le monde du réel. Et seuls quelques petits indices permettent de distinguer ces deux sphères conférant une ambiance mystérieuse à ce long-métrage regorgeant de surprises.

C'est de là que provient la plupart des scènes de suspens puisque les situations s'enchaînent avec une certaine interrogation sur l'identité du monde dans lequel la scène se passe. La séquence dans l'école en est un très bon exemple. Le film est terrifiant car il renvoie aux angoisses du sommeil, à cet peur de s'endormir et de ne jamais se réveiller. C'est le côté malsain du film puisqu'il est scientifiquement impossible de rester constamment éveillé. Aucune échappatoire. Freddy joue là-dessus. Il s'amuse avec ces victimes car le dénouement sera toujours le même. A moins que ...

Les Griffes de la nuit, c'est également un long-métrage bourré de représentations, spécialement autour de la sexualité et de la femme. Les personnages les plus dépravés, les plus détestables se font affreusement tués et même Johnny Depp jeunot, frustré sexuel et sans confiance, est victime d'une mort absolument surréaliste, véritable fontaine sanglante. Les homicides sont d'une violence inouïe, comme pour signifier une forme de torture et d'atroces souffrances pour ces personnages à la morale contraire aux normes bien pensantes. A l'inverse, la jeune et prude Nancy va montrer sa véritable force en s'opposant à Depp d'avoir un rapport sexuel et en démontrant sa force physique face à Freddy. Craven a construit une véritable icône féministe et très certainement vierge (il n'y a qu'un pas pour citer la Sainte Marie), à la manière de Ridley Scott et de Sigourney Weaver dans Alien. Après quelques lectures sur la survie, elle se donne vraiment corps et âme dans l'affrontement avec Freddy, avec l'homme dans ce qu'il a de plus machiste et cruel. Cet affrontement peut réellement se voir comme une revendication sur la place de la femme en société Une opposition forte pour une intrigue qui joue à nouveau avec les nerfs des spectateurs sur le lieu de l'action. Wes Craven a toujours profité de ses films pour faire passer des revendications. De la Colline a des yeux, où il évoque les essais nucléaire aux Etats-unis avec beaucoup de mépris et d'horreur, jusqu'à Scream où il donne un regard incisif sur la standardisation du genre slasher qui régit les récentes productions. Un auteur comme il se doit, qui profite de ses longs-métrages pour dénoncer et revendiquer.

Le final relèverait presque du twist si, à un certain moment du film, le dénouement ne deviendrait pas évident. Et une fin idéale pour un film qui n'attendait que le succès public pour lancer la vague de suites autour de la figure mythique de Freddy Krueger, dont Robert Englund s'implique complètement dans ce rôle pluriel. Mais les monstres les plus mythiques du cinéma ne sont-ils pas également tomber dans le panneau des suites et remakes ? Frankenstein, Dracula, Michael Myers, la figure de l'exorcisée, Jason Voorhees, GhostFace, Jigsaw et consorts auront tôt fait de vous convaincre.

Les Griffes de la Nuit n'est pas exempt de défauts. Freddy a vieilli, l'image aussi et l'ensemble démontre une atmosphère kitsch mais finalement très nostalgique. Le problème vient surtout d'un jeu d'acteur finalement pauvre, qui rappellent les belles heures du slasher et de la course entre la créature/le monstre mythique et la victime. Scream et sa parodie s'en amuseront d'ailleurs quelques années et décennies plus tard. L'ensemble du casting se révèle transparent ou cabotine (la mère qui joue l'alcoolique). Seul Robert Englund a maîtrisé ce personnage de tueur surnaturel. L'autre défaut à pointer provient de ce parti-pris d'accentuer chaque scène par des morceaux instrumentaux, le plus souvent au synthé, absolument insupportable en fin de parcours. Chaque moment de tension se voit affaibli par ce rapport paradoxal entre l'image et le son. Rendant l'ensemble encore plus kitsch, le film gagne à se voir comme une oeuvre de son temps où les synthés avaient pignon sur rue et les allures vestimentaires toutes plus excentriques les unes que les autres. C'était le bon temps de l'insouciance.

Comme tout premier opus à l'origine d'une saga remplie de suites plus ou moins bonnes, ce premier volet des Freddy intitulé sobrement Les Griffes de la Nuit est une réussite. La réussite même de la filmographie de Craven. L'ingéniosité de sa mise en scène allié à ce scénario tourmenteur ne peut laisser indifférent. Et puis ce personnage de Freddy, original comme tout pour l'époque. Craven a su se montrer précurseur pour l'affection que le public porte aux rêves et donc aux cauchemars, de même pour l'ambyvalence qui différencie le réel du rêve.
Craven n'est désormais plus l'ombre que de lui-même, ses dernières productions font preuve d'un goût amer malgré un retour à la saga Scream honnête il y a quelques temps maintenant. Comme tout réalisateur, on retiendra de celui-ci ses films majeurs, sa notoriété ainsi que la volonté commerciale des studios à produire des remakes de ses oeuvres laissent à penser que Craven avait construit des scénarios si bons qu'ils sont réutilisables. Il laissera une trace dans l'histoire du cinéma, et surtout des oeuvres majeures de l'épouvante/horreur.

D'autres critiques développent davantage les représentations qui composent le film, à l'inverse de moi qui ait préféré privilégier le parcours du réalisateur, et pour le coup je me permets de leur faire un peu de publicité.
Des analyses très pertinentes :

Plug_In_Papa : http://www.senscritique.com/film/Les_Griffes_de_la_nuit/critique/84997
reno : http://www.senscritique.com/film/Les_Griffes_de_la_nuit/critique/1828267

Créée

le 4 juin 2013

Modifiée

le 4 juin 2013

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Kévin List

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