Attention, film oscarisable...je prends quand même :
De Sid Vicious à Winston Churchill en passant par le Comte Dracula, Gary Oldman a le potentiel du transformer tout terrain en plus du talent d'acteur. J'ai lu que son incarnation avec prothèses de l'homme providentiel britannique avait de quoi faire mourir d'envie les musées Grévin et Tussauds, c'est drôle et mesquin mais c'est juste, car si l'Histoire se visite, le cinéma a le pouvoir d'en animer les traces écrites et les figures immobiles. Alors, oui, peut-être que le dernier film de Joe Wright a quelque chose du "musée des merveilles" un peu simpliste parfois, sûrement hagiographique et tombant très opportunément à l'heure où les pays retournent en mode tribu et cherchent passionnément tous les exit possibles ; mais c'est toujours prenant de se sentir plongés dans la fabrique urgente des destins, même romancée (Au passage, les historiens et philosophes que je connais, très réticents en général avec les sujets historiques et les biopic, ont été convaincus).
L'angle d'attaque de Joe Wright tourne donc autour de l'idée que l'ombre des légendes plane sur celle des gens ordinaires : il a saisi celle de Churchill, a soufflé dedans très fort pour lui donner le volume de chair et la répartie personnelle que l'on connaît. Du coffre et de la substance, Oldman devait en avoir pour porter ce fantasme de l'Histoire et insuffler son exacte vie au bonhomme bougon et orateur. Il est carrément impressionnant, avec la dose de doutes qui sied (on ne donne pas vie à une image glacée de manuel sans contrepartie de failles).
On prend donc son ticket pour une excursion dans les sous-sols sombres de la Churchill War Room, où l'on nous donne à mesurer que l'Histoire peut ne tenir qu'à une opiniâtreté de caractère, un encouragement sans grand espoir, un détail, une adversité contrariante, une coquetterie toute anglaise, qu'elle avance sur un fil rasant et que le sens et la direction glosés et admis après coup par les doctes n'émergent souvent que sur un assemblage hasardeux et faillible de circonstances très humaines. La lettre de capitulation était rédigée et les négociations avec Hitler plus qu'envisagées. La démocratie relève en somme toujours d'un brusque état providentiel sur fond noir.
Pour la forme, un traitement dramaturgique tout en tension. Une unité de temps et de lieu, et une concentration de matière pour une simplicité d'action que n'auraient pas renié Racine. Huis clos mental tragique. L'Histoire a parfois la rigueur pure du dilemme : heures sombres de mai 40, quand le très controversé Churchill devient Premier ministre et que l'Europe courbe l'échine. Noeud gordien très serré que seul un Alexandre Le Grand trancherait. A défaut d'Alexandre, ce sera Winston, the wrong pig. Oui, le film de Wright lorgne du côté des Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque, quand l'Histoire et la Légende se confondent encore.
Et puis qu'est-ce qu'on marche dans ce film , on va et vient, on déambule dans l'antichambre, entre les péristyles des Palais aux fronts chargés d'ennuis comme dans le Palais mental de Churchill. Plans serrés et montage acéré.
Alors, il y a bien une scène un peu "nunuche", celle où Churchill prend pour la première fois de sa vie le métro et rencontre de vrais anglais eux-mêmes effarés de le reconnaître si bien. Un referendum live à verser sa petite larme et à la gloire des britanniques tous unis contre la reddition à l'oppresseur nazi. Question de point de vue. Les anglais ont toujours eu le leur !
Enfin, voilà mon côté praline est passé outre. J'aime que L'Histoire me raconte aussi de belles histoires.
Kristin Scott-Thomas et Ben Mendelsohn, qui jouent respectivement Mrs Churchill et Queen Elizabeth's dad, sont délicieux comme Oldman dans les scènes privées.

Sabine_Kotzu
8
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le 9 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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