Une oeuvre coup de poing qui vous prend pour ne plus vous lâcher et vous hante après la projection.

Le Prix du jury à Cannes cette année qui va représenter à juste titre la France aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger est un film coup de poing, sans que ce terme soit ici galvaudé. Un film qui fait réfléchir, qui frappe là où ça fait mal et du genre qui vous hante longtemps après la projection. Forcément comparé à « La Haine » de Matthieu Kassovitz, mais actualisé à notre époque, par le contexte des banlieues françaises en ébullition, c’est pourtant réducteur tant « Les Misérables » vaut bien plus que ça. Il commence par une scène de liesse durant la victoire de la France à la dernière Coupe du monde de football (où donc le peuple français est soudé le temps d’un événement fédérateur) pour se terminer par l’opposé complet (c’est-à-dire par une fracture totale entre deux mondes, entre deux France). Le dernier plan, suivi d’une citation de Victor Hugo qui éclaire davantage la pensée principale du film, est éloquent comme jamais. Il lui donne un sens encore plus profond qu’espéré. Ni note d’espoir, ni condamnation manichéenne, ils agissent comme des motivateurs de réflexion et pose cette question simple : va-t-on aller jusqu’au point de non-retour dans ce microcosme faisant partie intégrante de la France que sont les banlieues ou l’espoir est-il encore possible ?


« Les Misérables » nous convie littéralement à une plongée dans une cité à risques de la banlieue parisienne. Ce genre d’endroit devenu une zone de non droit. On pense un peu à « Training Day » au départ dans cet aspect d’une journée de flics de la BAC jetés dans l’enfer des cités dangereuses. Mais la comparaison s’arrête là tant le film flirte un peu avec le polar (sans le côté hollywoodien bien sûr) pour ensuite s’en démarquer et verser dans quelque chose que l’on pourrait allègrement qualifier de film d’horreur sociale. On ne va pas rentrer dans les débats stériles sur la délinquance, les policiers pourris et les banlieusards désœuvrés et/ou jugés comme des racailles, ce n’est pas le but d’une critique même si le film pose intelligemment des questions et tente d’éviter toute prise de position empreinte de manichéisme de mauvais aloi. Il y parvient même s’il est souvent sur le fil et que l’on sent tout de même légèrement un parti pris de Ladj Ly pour cet endroit d’où il vient et qu’il connait mieux que personne. Mais on sent le film constat avant le pamphlet démagogique, il n’y a pas vraiment de rage, juste un cri d’alerte. Et « Les Misérables » est plus intelligent et mature que ça, bien plus. Quant à sa bande d’acteurs, professionnels ou amateurs, elle est criante de vérité. Le léger goût de déjà-vu ou de sujet polémique traité maintes fois est vite écarté par le traitement choc du cinéaste et sa vision des choses en forme d’état des lieux baigné dans la fiction. Et on ne pourra que le féliciter de tenter de mettre les spectateurs le nez dans une merde que beaucoup ne veulent pas ou plus voir.


A la lisière du documentaire immersif pour le sujet et le propos tout comme dans la manière dont il est traité, « Les Misérables » a la judicieuse idée d’éviter le côté caméra à l’épaule et l’image sale pour nous proposer une réalisation propre et racée assortie de plans ingénieux, presque beaux, qui le tirent clairement vers le cinéma avec un grand C. Et du bon cinéma. C’est donc formellement réussi et une belle mise en scène ne nous éloigne ici aucunement du cœur du propos prouvant que sujet social et politique peuvent faire bon ménage avec forme agréable à l’œil. « Les Misérables » est tout autant une chronique sociétale qu’un drame social et ce premier long-métrage nous prend aux tripes comme jamais dès ses premières images pour ne plus jamais lâcher nous jusqu’à un final tétanisant. On est immergés avec ces policiers de la BAC, en totale plongée dans ce monde où les lois sont différentes. Un véritable western urbain. On embarque avec eux, stressés, les mains crispées sur les accoudoirs. Lady Ladj nous claque la réalité en face et on se la prend en pleine tête sans jamais chercher le sensationnalisme ou le misérabilisme, il convoque juste une représentation édifiante de la réalité. A partir d’un scénario carré qui met bien en place tous les protagonistes et intervenants ainsi que des enjeux permettant de soutenir le propos général avec logique, il pointe du doigt et dénonce. Aussi bien ces jeunes délinquants sans morale ni respect que certains flics pourris et racistes. Tout autant les immams de pacotille prônant un islam détourné nocif que des pseudo-médiateurs qui profitent des tensions de la cité. « Les Misérables » questionne notre esprit et nos valeurs intelligemment et il fait froid dans le dos. Avec un minimum de réflexion, c’est le genre d’œuvres qui peut interpeller beaucoup de monde et (re)mettre le débat à l’ordre du jour. Mais, vu sans recul, c’est aussi un film qui peut être dangereux et faire la lie de mouvements extrémistes. Dans tous les cas, c’est une œuvre politique et polémique nécessaire, forte et qui ne peut laisser indifférent.


Plus de critiques cinéma sur ma page Facebook CIné Ma Passion.

JorikVesperhaven
8

Créée

le 10 nov. 2019

Critique lue 871 fois

4 j'aime

1 commentaire

Rémy Fiers

Écrit par

Critique lue 871 fois

4
1

D'autres avis sur Les Misérables

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

Les Misérables
guitt92
5

La haine c'était mieux avant

"Les misérables" est certes un constat d'urgence, un geste politique important qui mène à une conclusion pessimiste et sombre, beaucoup plus qu'il y a 25ans. OK. Mais je suis désolé, ce n'est pas du...

le 20 nov. 2019

124 j'aime

23

Les Misérables
Velvetman
7

La Haine

Ce n’est que le deuxième jour du Festival de Cannes 2019. Cependant, un souffle de fraîcheur surgit précocement. Les Misérables de Ladj Ly fait l’effet d’un immense coup de boutoir aussi rare que...

le 13 nov. 2019

88 j'aime

1

Du même critique

Les Animaux fantastiques - Les Crimes de Grindelwald
JorikVesperhaven
5

Formellement irréprochable, une suite confuse qui nous perd à force de sous-intrigues inachevées.

Le premier épisode était une franchement bonne surprise qui étendait l’univers du sorcier à lunettes avec intelligence et de manière plutôt jubilatoire. Une espèce de grand huit plein de nouveautés,...

le 15 nov. 2018

93 j'aime

10

TÁR
JorikVesperhaven
4

Tartare d'auteur.

Si ce n’est une Cate Blanchett au-delà de toute critique et encore une fois impressionnante et monstrueuse de talent - en somme parfaite - c’est peu dire que ce film très attendu et prétendant à de...

le 27 oct. 2022

89 j'aime

11

First Man - Le Premier Homme sur la Lune
JorikVesperhaven
4

Chazelle se loupe avec cette évocation froide et ennuyeuse d'où ne surnage aucune émotion.

On se sent toujours un peu bête lorsqu’on fait partie des seuls à ne pas avoir aimé un film jugé à la quasi unanimité excellent voire proche du chef-d’œuvre, et cela par les critiques comme par une...

le 18 oct. 2018

81 j'aime

11