Un peu moins de 25 ans après La haine, le film de banlieue est presque devenu un genre à part entière dans le cinéma hexagonale se déclinant du drame à la comédie en passant par l'action et ce souvent pour le meilleur (Divines) comme pour le pire (Banlieue 13). J'aime le cinéma qui remue les consciences et c'est sur la simple promesse d'un film fort que je suis allé voir Les Misérables de Ladj Ly...


Les misérables raconte l'histoire d'un jeune flic de province qui intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil en banlieue parisienne . Immédiatement plongé en apnée dans le quotidien de ses deux nouveaux collègues Chris et Gwada, il découvre alors les codes et les tensions inhérentes de ces deux flics de banlieue jusqu'au moment ou l'un deux dérape …


J'ai longtemps hésité avant d'entamer cette critique ne sachant pas trop sous quels angles m'attaquer au film de Ladj Ly qui forcément de par la force de son sujet est tout aussi souvent critiqué par le prisme social et politique que pour ses qualités purement cinématographique . Je commencerais donc par une lecture essentiellement cinématographique car oui Les misérables est avant toutes considérations « politiques » un grand film de cinéma. Il y-a dans le travail de Ladj Ly une forme d'urgence et de sincérité qui vous happe dès les premières minutes pour ne plus vous lâcher jusqu'à ce final qui vous laisse un peu groggy voir complètement K.O. A l'image de cette jeune recru qui débarque et se retrouve happé dans la lessiveuse émotionnelle de ce nouveau quotidien, le spectateur ne restera jamais confortablement dans son fauteuil à bouffer du pop-corn, il est pris par le col pour se retrouver dans cette voiture de police, il est plongé au plus près de ses gamins de banlieue un peu perdus, témoin impuissant d'un implacable état des lieues. Je ne sais pas si Ladj Ly filme bien ou mal mais en revanche c'est certain qu'il filme juste, direct sans fioritures ; du coup il parvient à capter l'urgence sans précipitation, la tension sans être pesant , la légèreté sans inconsistance et la révolte sans devenir anarchique... Le film file droit dans ses bottes sans le moindre temps morts avec rétrospectivement cette sensation que rien n'est vraiment en trop ou n'a le goût du pas assez dans un équilibre qui s'avère être assez miraculeux. Le film est aussi porté par un formidable casting d'une belle justesse, pas cette justesse du pseudo-cinéma vérité, mais cette justesse qui fait exister les grands personnages de cinéma au point que jamais leur comportement ne puisse être vraiment discrédité par le spectateur et que de personnages ils deviennent tout simplement des personnes. Le trio de flics au centre du récit formé par Damien Bonnard, Alexis Manenti et Djebril Zonga est absolument formidable et fonctionne à la perfection à l'écran. Les misérables est un film dont la dynamique se construit entre chronique sociale, thriller urbain, comédie et drame le tout dans un équilibre assez constant au point qu'aucun aspect ne vient prendre le dessus jusqu'à phagocyter ou annihiler l'autre. De plus mine de rien Ladj Ly tord joyeusement le cou à quelques clichés inhérents aux films de banlieue qui étaient devenus assez insupportables au fil du temps comme ces caricatures de cailleras toujours le joint au bec ou l'inévitable bande original composé de morceaux de rap. L'occasion de souligner la très belle et pesante musique signée du groupe Pink Noise.


Comme je le fais souvent avant d'entreprendre la rédaction d'une critique je suis parti voir les avis les plus positifs comme ceux les plus ouvertement hostiles au film histoire de voir ce qui pouvait provoquer attirance ou répulsion et me confronter à différentes grilles de lecture.Comme bien trop souvent avec ce genre d’œuvre très ancré dans une réalité sociale très forte et qui en plus à l'audace de venir bousculer les spectateurs, les avis les plus clairement négatifs parlent finalement assez peu de cinéma et beaucoup de politique. Moi qui pensait avoir vu le constat amer et alarmant d'un monde perdu dans lequel flics comme banlieusards se débattent pour survivre ; moi qui croyait que Ladj Ly était parvenu comme un cri de désespoir à tirer la sonnette d'alarme sur une micro société abandonnée depuis trop longtemps et dans laquelle il ne reste plus que des brides éparses de véritables dialogues et d'espoir … J'ai finalement lu ici et là que le film était pro-ceci et surtout anti-cela , qu'il faisait la part belle aux dangereux intégristes musulmans, qu'il glorifiait les attaques faites aux forces de l'ordre, qu'il était d'ailleurs anti-flics et anti-blancs, qu'il était complaisant envers la racaille … Des avis qui bien souvent ne sont que le reflet des troubles obsessions qui tournent en boucle dans l'esprit de celles et ceux qui les ressortent à la moindre occasion. Alors oui peut être que le film est parfois maladroit, que le personnage de Chris est sans doute un peu trop chargé, que sa « passion » pour les cochons n'était pas l'élément le plus indispensable au film mais ce serait faire preuve de bien peu d'intelligence que de s'arrêter uniquement à cela. Même si le personnage de Chris est effectivement assez souvent détestable à l'écran il n'est pas LE visage de la police, il n'est qu'une seule des trois facettes de ce visage. Grande gueule, impulsif, vanneur, imbus de lui même, sûr de son autorité je crois même que le personnage est sans doute bien plus con qu'il n'est véritablement mauvais ou ouvertement raciste. C'est d'ailleurs l'une des forces du film de Ladj Ly , montrer que personne n'est vraiment jamais ni tout noir ni tout blanc.


J'ai beaucoup aimé la manière dont Ladj Ly montre à de nombreuses reprises à quel point la communication et le dialogue sont devenus totalement dysfonctionnel au sein des banlieues. Il y-a dans Les Misérables de très nombreuses scènes dans lesquels les personnages n'ont plus la mesure même de l'échange à l'image de cette scène aussi drôle que tendu entre les forains et le maire et sa clique; tout le monde gueule, éructe, s'insulte, se menace alors que personne ne prend le temps de s'expliquer sur ce fameux Johnny (Mais il est pas mort Johnny ?)…. On retrouvera le même type de scène dans le kebab lorsque tout le monde se menace et s'agace autour de la fameuse vidéo, le conflit ne trouvera une issus que lorsque Stéphane et Salah se poseront loin du bruit et de la fureur pour pouvoir vraiment échanger plus calmement. Cette notion de la justesse dans la communication on la retrouvera encore lors de nombreuses scène du film comme lorsque Gwada parvient à s'introduire par le dialogue approprié dans l'appartement de la mère d'Issa là ou Chris n'avait obtenu que le refus ou encore lors de la séquence du contrôle des jeunes gamins lorsque Stéphane tente d'être aussi procédurier que courtois avec un jeune et qu'il ne reçoit en retour qu'insultes et tutoiement. Difficile de s'entendre quand plus personne ne semble pouvoir se parler c'est aussi l'un des constat terrifiant du film.


Les misérables est un film fort et nécessaire qui montre à travers une dernière scène tétanisante que lorsque le dialogue ne sera plus du tout, il ne restera alors que le rapport de force, il faudra alors sonder tout au fond des regards emplis de haine, de peur et de désespoir ce qu'il nous reste encore d'humanité pour ne pas que tout s'embrase dans les flammes, les larmes et le sang.


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freddyK
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le 26 nov. 2019

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