Deux silhouettes courent dans un champs où semble s'être niché le soleil. Une maison surplombe, domine, solitaire et écrasante à la fois, des hommes, des femmes, des jeunes filles au visage sale, entasser les paquets de blé, les uns sur les autres. Semblent-ils n'être que des ombres, des traits de peinture noirs qui viendraient salir sur une toile la beauté d'un paysage. Semblent-il n'être que des fantômes sombres, des esquisses d'homme, errant dans cette nature cruelle.
Je vois Malick filmer son pays et je pleure. Je le vois se saisir de ce vent qui caresse les corps, qui floute les âmes, disperse les hommes. Je le vois qui écoute ces grenouilles cachées que personne ne saurait voir. Je le vois qui observe ces sauterelles perchées, sur leur épis de blé, et qui amèneront l'apocalypse, sans peut-être le savoir.
Ce film, est-il un film, où file t-il, où va t-il ? Que nous dit-il ? Qui sont ces gens qui s'aiment et se quittent, se voient mourir dans un soleil couchant ?
Il y a un instant, éphémère, furtif, entre le jour qui fuit et la nuit qui s'en revient : c'est l'heure bleue. C'est pendant l'heure bleue que tout dans ce film se passe, que l'un découvre la vérité de l'autre, ou croit la découvrir, que les corps tombent, se relèvent et s'enlacent.
Je vois Malick filmer les hommes et je pleure. Je le vois qui leur accorde grandeur et faiblesse, obscurité et lumière.
J'entends une fillette qui découvre le monde, qui écoute la terre, et je pleure. Malick, c'est elle. C'est celle qui s'émerveille, puis doute, puis se passionne et fustige ce qui, devant ses yeux, éclot et se fane, comme par magie. C'est elle qui nous parlera en dernier, que l'on verra en dernier, qui nous accordera la dernière clé de l'œuvre du cinéaste qui semble l'habiter ; en accompagnant près d'elle une jeune fille paumée dans ce monde magnifiquement cruel : "Cette fille, elle savait pas où elle allait ni ce qu'elle allait faire. Elle n'avait pas d'argent. Peut-être qu'elle rencontrera quelqu'un. J'espérais que ça s'arrangerait pour elle. C'était une bonne ami à moi"
Comme si Malick n'avait qu'une seule chose à conseiller à ses personnages : l'amour. Il leur laisserait tout, la liberté, la pauvreté, la vie, et leur donnerait l'amour. Vivre, mourir, et entre, aimer. Ce que les hommes font déjà, depuis des siècles, et feront encore jusqu'à la fin des temps.
Les Moissons du ciel est un film entre tout. Entre la vie et la mort. Entre le ciel et la terre. Entre le jour et la nuit. Entre ces deux corps qui s'enlacent et que le cinéaste filme encore jusqu'à la fin du jour et toute la nuit durant, deux visages qui se reflètent sur une toile blanche, évoluent les jambes nues dans une rivière paisible, s'endorment dans cette maison solitaire et éloignée qui est la lanterne éclatante de la nuit. C'est dans ce film fugace et contemplatif à la fois, qui fuit sans faiblir dans une urgence lente et douce, que chaque parcelle de la beauté du monde vient s'étendre et se coucher, pour en ressortir encore plus belle ; puis doucement, sans heurt, comme une feuille après l'été, s'en aller paisiblement mourir dans nos yeux brillants de mille feux, aux larmes qui s'esquissent, puis s'épanouissent, puis meurent comme meurent les hommes dans la nature tranquille.
B-Lyndon
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le 6 mars 2013

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B-Lyndon

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