Le dernier plan du film, superbe, amène à réflexion sur l'origine de l'agressivité extrême des oiseaux : la première attaque de la mouette sur la coupe peu commune de Mélanie Daniels pourrait porter à croire qu'elle est bien la cause de tous les malheurs de Bodega Bay. Chaque attaque a lieu en sa présence, et à l'évacuation du village, la radio annonce bien que Mitch, Mélanie, Lydia et Cathy ne sont pas les derniers isolés. Alors, lors des silencieuses dernières dix minutes, il semble, et le dernier plan du film accentue cette possibilité, que l'ensemble des corbeaux, mouettes ou moineaux de la région se sont donnés rendez-vous devant la maison où habite Mitch. Mélanie, qui semble attirer les oiseaux, est aussi attirée par eux, ce qui aura failli causer sa perte lors de la scène où elle s'aventure périlleusement à l'étage après avoir entendue des gémissements, qui en aura inspirée bien d'autres par la suit dans sa catégorie. Mais Hitchcock, usant de tout son art de l'angoisse, prendra la plus juste décision de calmer le jeu à la sortie de Mélanie pour semer le doute : les oiseaux sont-ils simplement attirés par le bruit ou la foule, en résulte la fameuse scène de l'évacuation des enfants de l'école ou, comme l'aura accusé l'une des dames de l'auberge du port, Mélanie est-elle la véritable origine du comportement étrange des oiseaux ?


La scène d'introduction, qui amènera par la suite « les inséparables » en cage sur le territoire des oiseaux, conduit le personnage principal dans une oisellerie, où elle croisera Hitchcock en caméo, sortant du magasin avec deux chiens tenus en laisse, détail non sans importance : ici, les oiseaux, de toutes espèces, sont mis en cage et les humains les contrôlent comme bon leur semble. Charmant l'avocat, la jeune demoiselle décide de lui apporter ce qu'il recherchait, et conduit tout droit sur un territoire presque sauvage, peu habité, où dès son arrivée, l'Homme ne sera plus le dominant.


Les séquences où des enfants sont attaqués ont raison du traumatisme que le sans scrupules Alfred Hitchcock à fait subir aux plus jeunes. Et si vous comptez montrer, ou avez montré Les Oiseaux à vos enfants pour que plus jamais ils ne regardent les oiseaux de la même manière et qu'ils arrêtent de donner la moitié de leur sandwich à des connasses de mouettes qui réclament sans cesse, c'est la preuve que vous êtes un sadique.
Aussi bien aujourd'hui qu'à l'époque, les impressionnants effets spéciaux du long-métrage fonctionnent magnifiquement bien et, n'ayons pas peur des mots, furent une révolution. L'image du malheureux aux yeux crevés sera restée en mémoire de la mère de Mitch aussi bien que dans celle des spectateurs, et le film usera pour l'une des premières fois, notamment par la vue du sang, d'une horreur réaliste.


A l'instar de La Planète des Singes où l'évolution de l'intelligence des singes a réduit l'Humanité en esclavage, la question d'une domination par une espèce moins intelligente certes, plus petite certes, à l'aspect inoffensif certes, mais qui en réalité est en bien plus grand nombre que celle des humains (ici, une petite population à l'instar du territoire des mouettes, le bord de mer, et l'obscurité sinistre des corbeaux), qui existe depuis la nuit des temps (donc qui logiquement aurait évoluée) et qui attaque en nombre. Car le nombre impressionnant d'oiseaux sur les toits, les fils électriques, attendant patiemment une nouvelle occasion de bondir sur leurs proies, donne une sensation d'infériorité. Surplombant le port de Bodega Bay avant l'attaque du lieu, volant si haut que l'humain occupé ne peut pas les voir, les oiseaux voient tout, et dominent le territoire aussi bien qu'ils le terrorisent.


La dernière séquence du film donne lieue à la « défaite » des humains, quittant le lieu en voiture : en nombre, sur le sol terrestre, sur les rampes, les marches et le toit, les oiseaux montrent leur domination. De la même façon qu'à l'ère primitive, les oiseaux ont choisi Bodega Bay comme étant leur territoire et useront de tous les moyens, aussi cruels soient-ils, ou s'allier comme le dénigrait la spécialiste. En quelques sortes, les oiseaux, jouissant de leurs ailes pour voler, sont supérieurs à l'Homme, qui fantasme sur la liberté sans limites de ces fabuleux volatiles.
La peur est donc présente chez tous : le spectateur est angoissé, les humains ont peur de mourir et les oiseaux, contraints de s'attaquer à tous ceux qui entourent celle qui aura eue le malheur d'apporter des semblables en guise de cadeau, ont peur d'être mis en cage.


L'Homme, aussi évolué et intelligent soit-il, est la proie et les oiseaux, aussi petits et insignifiants d'apparence, sont les prédateurs. Le nombre fait la différence, et les gros sont mangés par les petits. La loi de la nature est inversée, et la peur prend le dessus, attaqués par les oiseaux dont le seul cauchemar serait d'être privés de liberté.

ReservoirJok
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le 29 avr. 2020

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ReservoirJok

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