Revu hier en version restaurée dirigée par Agnès Varda, Rosalie Demy-Varda et Matthieu Demy, le film porte magnifiquement ses cinquante ans. Replacé dans le contexte de l'époque (guerre d'Algérie, société française corsetée), il apparait particulièrement audacieux. C'est à cause de cette guerre sans nom que Guy est envoyé au régiment pendant deux ans. Et il est encore mal vu d'être une fille-mère à la fin des années 50 - une figure récurrente dans le cinéma de Demy. La mère de Geneviève, qui tient le magasin qui donne son titre au film, élève seule sa fille comme c'était déjà le cas de Madame Desnoyers dans Lola (premier volet d'une trilogie conclue avec Model Shop).
Film en chanté et forcément enchanteur, il reçoit en 1964 la palme d'Or à Cannes avant de conquérir la critique et le public séduit à son tour par des dialogues entièrement chantés. Jacques Demy renouvellera cette expérience en 1982 avec Une chambre en ville.

Développant de manière paroxystique l'univers du cinéaste (la palette chromatique en étant la signature la plus évidente), le film mêle l'irréalisme (les dialogues chantés) à la réalité sociale et politique. L'amour s'affranchit des barrières sociales : Guy est un simple mécano qui rêve d'avoir sa propre station-service tandis que Geneviève, fille d'une commerçante installée qui croule néanmoins sous les dettes et les factures, représente la petite bourgeoisie. La mère de cette dernière s'oppose au mariage de sa fille avec Guy non pas à cause de sa condition, mais en bonne connaisseuse des choses de l'amour. Elle sait les désagréments de la séparation, l'usure inéluctable du temps.
Construit en trois actes : Le départ, L'absence et Le retour, le film emprunte beaucoup à la grammaire opératique et demeure un drame absolument déchirant où l'amour ne triomphe pas de la séparation, de l'éloignement des destinées qui se sont croisées et superposées avant de s'écarter irrémédiablement. Déçu et amer, Guy refuse de voir sa petite fille (jouée par Rosalie Demy-Varda) qui attend dans la voiture et laisse partir Geneviève traversant seule le parking de la station-service sur lequel tombe sans fin une neige recouvrant tout, y compris une belle histoire qui a mal tourné. Chacun est reparti vers son monde; ce dont les mariages respectifs de Guy (avec la douce Madeleine qui veilla sur la tante Élise) et de Geneviève (avec le diamantaire Roland Cassard, enfin heureux en amour). Négatif noir et déchirant des Demoiselles de Rochefort, Les Parapluies de Cherbourg demeure un chef-d’œuvre intemporel et unique.
PatrickBraganti
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le 22 juin 2013

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