Voir pour la première fois Les Sept Samouraïs laisse planer une aura presque mystique dans la pièce : comment aborder ce qui est considéré, à juste titre, comme l'un des plus grands films (dans tous les sens du terme) de l'histoire du cinéma? Il ne suffit pas de trouver le bon moment et le bon endroit; se résoudre à ne plus pouvoir le découvrir autrement qu'en se remémorant la première fois aux prochains visionnages est une décision dure à prendre. Il ne restera que le souvenir de la rencontre initiale, comme avec les films que l'on préfère ou les claques que l'on s'est prises.


Mais ne pas s'y résoudre, c'est accepter de passer à côté de l'une des plus grandes expériences que le septième art a pu offrir à ses spectateurs; l'une des plus pures, des plus ambitieuses et poétiques, dont la perfection de chaque instant donne lieu à une réputation qu'il n'a assurément pas volée. L'une des plus émouvantes, aussi, et malgré la connaissance de la fin; qui aura vu Les Sept Mercenaires, "original" comme remake, s'en doutera.


Cette connaissance de sa conclusion terrible laisse l'appréhension s'accroître au fil des scènes, à mesure que s'approche la fin; à l'instar d'un compte-à-rebours pré-mortem, d'une messe donnée avant l'enterrement. L'espoir reviendra, se repointera comme pour narguer le spectateur qui ne sait pas qui mourra et s'il y aura quelques têtes pour ne pas tomber sous les assauts inlassables des brigands.


Qui sait qui gagnera, s'il y en aura qui gagneront; ne compte dans l'instant que l'acte lui-même, ni le passé ni l'avenir. C'est pourquoi le personnage de Toshirõ Mifune (Kikuchiyo) finit par devenir si touchant : vraisemblablement fou, proche d'un bouffon, il ne parle jamais de son passé sauf quand le présent lui redonne vie, avec lui les larmes d'un enfant qui n'aura pas pu grandir, et les hurlements de cet adulte si enfantin qu'il ne pouvait jusqu'ici que traduire un traumatisme enfoui profondément dans son esprit. A présent qu'il est connu de tous, j'vous assure qu'on aurait préféré ne rien savoir.


Au spectateur d'abandonner les préjugés qu'il avait sur les personnages de la première partie : la deuxième, axée sur les préparatifs de la guerre, place les personnages en face d'une vérité qu'ils s'étaient jusqu'ici cachée. La proximité de la mort les replongeant dans la réalité du monde, ils apprennent à assumer les conséquences de leurs actes, ou de ceux de leur caste : la lâcheté pour les paysans, rendus vils par la cruauté des guerres des samouraïs.


En réaction aux combats de ceux qu'on nous présentait jusqu'ici comme les héros de l'histoire, comme le bien qui défendra les bons du mal absolu, ils ont appris à survivre par la traîtrise, à achever des samouraïs blessés pour récupérer leurs armures; logiques qu'ils peinent à leur faire confiance et les craignent comme la peste, aux vues de ce que leur seul nom fit subir à l'équilibre de villages qu'on imagine paisibles avant les affrontements qui les mirent à feu et à sang.


Le rapprochement sous-entendu entre les brigands et les samouraïs, appuyé par les armures portées par les pillards, fait des Sept Samouraïs un film profondément pacifiste : si la paix s'arrache au prix des souffrances de la guerre, une note d'amour pourrait rendre plus acceptable un destin funeste, et l'expert en armes et en mort ne trouvera pas de destin paisible.


Comment concilier alors les bourreaux et les victimes, la botte et la fourmi, si les uns sont les bras armés d'une caste qui détruisit le quotidien des autres? La morale de ce dernier plan incroyable, composition lyrique sur le vide du cimetière et la vie qui continue, prouve avec un grand pessimisme que c'est une tâche impossible dans laquelle ces héros s'étaient lancés, par charité ou quête de construction de soi


(Mifune devenu, post-mortem, samouraï au sacrifice du sang versé).


La brutalité du spectacle, avec ses émotions mises à nue par le talent narratif de Kurosawa et Shinobu Ashimoto (ce fameux dernier plan évoqué plus haut, ou le désespoir de Mifune, alcoolisé, avec son arbre généalogique entre les mains), débarque sans prévenir dans une fresque historique mêlant habilement comédie, tragédie, film de sabre et drame amoureux : virtuose à plus d'un titre, cet assemblage des registres s'accumule en développant dans une première partie ses personnages de façon admirable, avant de déconstruire le travail entrepris jusqu'ici dans une multitude d'assauts/contre-attaques qui ne laissera aucune âme intacte (celle du spectateur inclue).


Tout cela filmé avec une retenue, un sens de la pudeur sans égal : Kurosawa, dont les films avaient attesté jusqu'ici de son sens aigu du détail, enchaîne cadrages sublimes sur travellings audacieux, alignant avec une justesse parfaite la précision de sa mise en scène sur le déroulé incroyable de son intrigue, enchaînement de séquences tour à tour touchantes/drôles/spectaculaires à la dimension grandiose et lyrique.


Il paraît complexe d'y trouver un égal, quelque part ailleurs dans le cinéma international : qui pourrait seulement égaler la beauté des émotions transmises, la complémentarité de ses acteurs charismatiques, la finesse de cette photographie aux nuances de noir et blanc mettant en valeur le romantisme de ses scènes d'amour, et la dureté de ses affrontements sans échappatoire envisageable?


Il reste tant de films à découvrir, et tant d'années pour tenter d'y répondre...

FloBerne

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