Quand on évoque les classiques du film noir, tout le monde a "Sunset Boulevard", "Assurance sur la mort" ou "La griffe du passé" à la bouche. A juste titre. Mais "Les tueurs" de Robert Siodmak aurait largement sa place dans ce top 3 du Noir.

Sublime, ce film noir est un cocktail de plans à tomber par terre, de par leur intelligence et leur noirceur. La photo de Elwood Bredell est par instants stupéfiante de beauté. Les jeux de lumières sont maîtrisés parfaitement, comme il sied à tout grand film noir. Dans certains plans très sombres, des éclairs blancs donnent du volume à l'angoisse, le mal-être permanent et donc violemment palpable.
Parfois, avec un peu plus de subtilité, on joue sur des petits espaces, dans le cadre qu'on dérange sciemment. Le découpage de l'image perturbe. Malaise, toujours.
Par exemple, notez ce plan où l'on croise dans ses orbites noire la lueur métallique des yeux couteaux de Albert Dekker. Ces deux petites billes disent la mort pour celui qui ose s'interposer.
De même au tout début du film, avec l'arrivée dans un petit village de deux tueurs à gages. Leur déambulation dans la nuit éclairée par quelques faiblards réverbères et les plans qui suivent dans le snack-bar font d'entrée de jeu peser sur le film cette atmosphère suffocante, poisseuse où la violence est là, tapie, prête à sauter au cou du quidam.
Que ce soit l'élaboration photographique, sur les lumières ou sur les mouvements de caméra, Robert Siodmak nous régale de petites trouvailles à la fois techniques et esthétiques sur la majeure partie du film.
Les intérieurs sont magnifiquement travaillés. Et quelle audace notamment à la morgue, avec des scènes dans la pénombre !

Sur le scénario, les thématiques du film noir pullulent comme autant de flèches nous guidant lors d'un voyage dans les ténèbres, celles dans lesquelles pataugent les héros, hommes comme femmes, papillons se fracassant sur une lumière impénétrable. Absurdité de l'existence, tyrannie des désirs, désillusion, désamour, trahison, double jeu, échec.

Les acteurs sont excellents.
Burt Lancaster est encore jeune et il impose sa masse athlétique avec une grande aisance naturelle. Mais comme il s'agit d'un grand comédien, il insuffle à son personnage une belle fragilité. Très émouvant. Le héros maudit du film noir par excellence !
On retient évidemment Ava Gardner, très vamp, très froide, sexy et inquiétante mante religieuse.
Et puis, Robert Siodmak a choisi de bien sales gueules. Jack Lambert en est l'exemple type : un gars qu'on n'aimerait pas croiser dans une rue sombre. Jeff Corey est une tête qui revient dans les films de cette époque, qui accroche bien la lumière. On peut même l'apprécier dans de nombreuses séries TV, comme Star Trek ou Les Mystères de l'ouest (The night of a thousand eyes).

Il n'y a au fond que la musique de l'immense Miklós Rózsa qui me déçoit. Venant du bonhomme, c'est très surprenant, on s'attend à quelque chose de plus piquant, de plus entêtant. Voilà bien le seul vrai bémol que je pourrais reprocher tant ce film me paraît exceller dans sa catégorie.

En tout cas, un des plus grands films noirs que j'ai vus jusqu'à maintenant, à l'évidence.
Alligator
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le 31 déc. 2012

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Alligator

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