La "petite Histoire" à l'honneur
Les Vestiges du Jour est une œuvre brillante. Les films tirés de livre sont toujours d'une épaisseur rare : plans descriptifs, finesse de la psychologie, cohérence du scénario comptent parmi les gemmes que cet exercice permet d'excaver, si on s'y applique. James Ivory a fait un merveilleux boulot.
En deux mots, l'histoire est celle d'un majordome au service dans une grande maison, où se réunissent les décideurs politiques européens à la veille de la secondaire guerre mondiale. Cet événement majeur est ici relégué au second plan, et le spectateur s’infiltre derrière les murs du manoir, dans les escaliers de service, les cuisines dans les caves et les chambres de bonne.
Hopkins et Thomson, parfaitement dirigés, sont au sommet de leur gloire. Leurs personnages les obligent à beaucoup de retenue, et ils sont obligés de faire passer les émotions par des détails.
La musique (Richard Robbins, connais pas) très dramatique donne un ton inquiétant et rappelle l'importance politique du moment. Ivory fait le choix d'alterner d'une façon très intéressante entre deux époques (l'avant-guerre et l'après-guerre), soulignant ainsi le tournant que marqua cet événement sans jamais le montrer ni même en parler directement.
Mes seuls reproches vont à une certaine simplification - me semble-t-il - du rôle des états incarnés par des ambassadeurs un peu caricaturaux. Le Français désagréable et leurré, l'Américain grossier mais sauveur et visionnaire. Mais il faut tempérer:
1) Je n'ai pas lu le bouquin, donc je ne sais pas si ça tient à la réalisation d'Ivory ou à l'écriture d'Ishiguro
2) Je ne sais pas dans quelle mesure ça ne reflète pas une certaine réalité historique
3) Cela demeure à l'arrière-plan du véritable propos du film, qui met en valeur ce qu'on appelle malheureusement la "petite histoire"
Bref, quelqu'un de plus éclairé que moi pourrait dire si vraiment le film pêche à cet endroit ; de toutes façons, d'un point de vue cinématographique, les conversations des diplomates se mêlent très bien à l'intrigue, et le jeu de va-et-vient entre les enjeux politiques et les enjeux domestiques provoque des rapprochements et des contrastes très intéressants.
Un incontournable.