"Les bourreaux meurent aussi" a la même intensité expressionniste qu'un "M le maudit", et sa trame narrative est assez proche : la police recherche un assassin. Sauf que cette fois l'assassin n'est pas un tueur en série, mais un résistant praguois qui vient de mettre un terme aux agissements du boucher Heydrich.
J'avais vu ce film dans un cinéma Action et il m'avait fait très forte impression. Je le revois maintenant et l'émotion est toujours là. Dieu sait que je ne cours pas après les films sur les nazis (par exemple "Man hunt", du même Lang, est un film que je respecte mais qui n'est pas ma tasse de thé). Mais là, avec Brecht au scénario et James Wong Howe à la photo, le film est haletant.
Beaucoup de scènes se passent en intérieur (le siège de la Gestapo, l'appartement des Novotny, la chambre de l'inspecteur Gruber, les prisons, les baraquements des otages...), mais il y a aussi des scènes de rues avec ombres démesurées, soignées aux petits oignons. Quelques stock-shot de Prague sont utilisés très efficacement pour planter le décor.
Un peu comme dans "To be or not to be" de Lubitsch, il s'agit de brouiller les pistes des nazis, qui sont sacrément réactifs. Il y a donc sans cesse des retournements de situation sur le fil du rasoir, et les personnages doivent sans cesse jouer la comédie, sans montrer le moindre signe de faiblesse. Il y a bien sûr le personnage marquant et très digne du professeur Novotny, figure de la résistance à l'adversité, et la sublime Anna Lee. On finit par oublier l'anglais irréprochable et les références shakespeariennes pour se croire à Prague.
La grande force du film repose à mon sens sur la description très suggestive de la cruauté nazie. L'introduction de Heydrich, avec son regard fou, est quelque chose que l'on n'oublie pas, mais les mimiques nonchalantes du chef de la Gestapo, ou les manières du commissaire Gruber, véritable brute qui ne lâche pas ses proies, sont tout aussi réussies. The better the bad man, the better the movie.
L'aspect "film de propagande" ne me choque pas, car avec Brecht aux commandes, il ne s'agit pas simplement de montrer les nazis comme mauvais. Il s'agit de comprendre ce qu'est l'engagement, la dignité, et les sacrifices auxquels tout homme attaché à la liberté doit apprendre à consentir.
On l'a sûrement déjà dit, mais je le répète : "Les bourreaux meurent aussi" est un des plus grands films de Lang, il mériterait largement d'être plus connu et diffusé.