Difficile de voir en Logan la conclusion d'une trilogie, tant cette dernière aura été inconstante - et c'est tant mieux, après un départ aussi catastrophique ! Pas évident non plus, cela étant dit, de la rattacher au reste de la saga des X-Men, en vertu de la différence de ton. Non, Logan est, à l'instar de son héros éponyme, un animal solitaire et indépendant, qu'il faut prendre à part et apprivoiser. À moins que ce ne soit un enfant sauvage, celui du réalisateur James Mangold.


Jetez un coup d’œil aux campagnes promotionnelles de tous les films de super-héros de ces cinq-dix dernières années, et vous entendrez à chaque fois le même refrain : "c'est un film très personnel". Neuf fois sur dix, ce n'est bien entendu que de l’esbroufe. La dixième, c'est Logan. Ce que Mangold parvient à faire ici, peu l'ont accompli avant lui, et seul Todd Philipps y est parvenu depuis avec son Joker, encore que bien plus maladroitement.


Je n'aurais pas dû être si surpris. Les graines étaient incontestablement plantées lors de la précédente incursion de Mangold dans l'univers des mutants, The Wolverine. Mais à l'époque, on sentait le réalisateur encore obligé de tenter le grand écart entre deux approches, le thriller réaliste d'un côté et le comic book movie farfelu de l'autre, pour un résultat certes divertissant et plus soigné que la moyenne, mais peinant à vraiment convaincre, faute d'identité claire. Tout cela est gommé et corrigé dans Logan.


La grande réussite de Mangold sur ce deuxième essai, c'est d'adapter son univers à ce qu'il entend faire de son protagoniste, et non l'inverse. Le mutant immortel de The Wolverine, avec ses éternelles griffes en métal et sa coiffure de choc, jurait franchement avec le cadre des guerres d'influence commerciale au Japon, à tel point que le film paraissait vouloir s'en excuser sur la fin, via une bataille finale assez laide et absurde, qui en retour ne collait pas au reste du film. Ce manque de cohérence, on ne le retrouve pas dans Logan, qui commence comme il se termine : dans le sang, la sueur et les larmes.


Les précédents épisodes de la saga des X-Men ne manquaient pas d'une certaine violence (le premier film s'ouvrait sur Auschwitz !) mais elle demeurait assez froide et avant tout psychologique, de sorte que l'on sentait les concepteurs se retenir dès qu'il s'agissait de Wolverine lui-même ; de fait, comment attirer un public familial avec un héros dont le principal attribut consiste à pouvoir absolument tout découper ? Interdit aux moins de douze ans, Logan n'a plus à s'embarrasser de ce problème. Cette liberté retrouvée, le film en profite dès l'ouverture, qui voit notre héros venir à bout d'une bande de braqueurs mexicains, à grands renforts de bras coupés et de cervelles percées. On n'est plus au Kansas, toto.


Cette violence, contrairement à celle déployée à la même époque par Ryan Reynolds dans Deadpool, n'est cependant ni gratuite ni artificielle. Elle fait partie d'un ensemble, qui consiste à montrer la déchéance non seulement du personnage, mais aussi du monde qui l'entoure. Il s'agit là du fameux alignement dont je parlais tantôt : Wolverine n'est plus un OVNI au milieu d'un monde normal, il est le symptôme d'une époque.


En cela, James Mangold renoue avec les deux premiers films de son collègue Bryan Singer, tout en allant plus loin que lui : ses mutants font partie d'un monde bien réel (toutes les scènes tournées à la frontière américano-mexicaines paraissent toutes droit sorties d'un documentaire) qui ne se pose même plus la question de les rejeter ou non ; son choix est fait. Voilà donc notre héros, plus alcoolique et dépressif que jamais, réduit à jouer les chauffeurs de taxi pendant que le Professeur X, jadis voix de la sagesse et de la raison, est devenu un vieillard complètement rachitique et gâteux, enfermé dans une baraque de tôles en plein désert mexicain. Ce n'est plus du réalisme, ni même de l'ultra-réalisme : c'est du nihilisme pur et simple.


Mais contrairement à d'autres exemples récents sur lesquels je reviendrai à la fin, ce lifting fait mouche, car plutôt que de défigurer sciemment notre héros et/ou son univers, il lui permet, comme je le disais, de se libérer, de révéler tout son potentiel. Wolverine est certes un personnage extravagant de par ses griffes, mais c'est avant tout une figure tragique, dont l'immortalité est une malédiction plus qu'un bienfait. Cela se retrouvait un peu dans les films de Singer, beaucoup plus dans The Wolverine et surtout dans le comic alternatif Old Man Logan de Mark Millar et Steve McNiven, dont est adapté le film de Mangold.


Le postulat de base est limpide : il y a longtemps que "Logan l'homme" ne s'appartient plus. Nourrice d'un mentor réduit à l'incontinence, chauffeur sous une vraie-fausse identité, le monde entier le connaît sous les traits d'un personnage vêtu de collants jaunes, ce qu'il fustige avec cynisme et mépris. Un an plus tôt, X-Men : Apocalypse avait essayé de se la jouer "méta", pour ne réussir qu'à apparaître "bêta". Le quatrième mur brisé par Logan, quant à lui, sert à quelque chose : il souligne la déshumanisation d'un immortel mourant et paradoxe vivant.


"Il te reste du temps, Logan" lui murmure un Professeur X pas si à la rue que cela, qui essaie d'entretenir la flamme. L'espoir, c'est bien sûr sa fille cachée et soudain révélée, Laura. Cette fois, Mangold réitère son propos de 3.10 to Yuma : quel héritage pour celui qui a semé la mort et perdu son âme ? Son concept bien plus proche du western classique que du film de super-héros, Logan le revendique au travers de Shane, que le Professeur et Laura regardent ensemble à l'hôtel. La référence peut paraître trop évidente, mais elle donne lieu à une scène finale qui est probablement l'une des émouvantes et les plus satisfaisantes que j'ai pu voir. Va, on te pardonne tes gros sabots, Logan.


D'une manière générale, je n'ai pas grand-chose à redire à ce qui, en matière de film d'action hollywoodien, reste à mes yeux ce qui s'est fait de mieux depuis The Dark Knight. Certes, j'ai beau adorer Richard E.Grant, il est regrettable que le scénario ressorte la carte du savant fou comme antagoniste, mais c'est bien peu de choses en comparaison de la mise en scènes impeccable de Mangold, d'une photographie somptueuse, d'une belle bande-son atmosphérique, des meilleures scènes d'action que la série ait eu à proposer, de la révélation Dafne Keen en Laura, d'une performance particulièrement touchante de Patrick Stewart et surtout, surtout, de celle d'un Hugh Jackman en grande forme pour son dernier tour de piste. L'acteur australien aura illuminé chacune de ses prestations (à part Origins, mais passons), et après dix-sept ans dans le même rôle ce n'est pas donné à tout le monde de partir sur une bonne note, mais il y est parvenu et il nous manquera.


Non, le seul vrai défaut de Logan n'est même pas de son ressort : il s'agit de son héritage. Là où celui de son héros éponyme est synonyme de rédemption, Logan initia bien malgré lui une regrettable mode du nihilisme creux et fumeux dans certaines autres grandes franchises du cinéma américain. Mais entre Luke Skywalker devenu un ermite aigri dans Star Wars : Les Derniers Jedi, le Terminator transformé en bouffon de la reine dans Terminator : Dark Fate, sans oublier la triste pantomime de Patrick Stewart pour son retour dans le rôle de Jean-Luc Picard pour Star Trek : Picard, qui tranche singulièrement avec son travail effectué sur Logan, aucun ne sera arrivé à la cheville du film de James Mangold.


La raison à cela est simple : Logan déploie tout le potentiel tragique de son héros, encore jamais exploité à sa juste valeur. Les trois autres exemples que je viens de citer, au contraire, se contentent de détourner le sujet de base dans le simple but de choquer ou de se plier à la doxa du temps. Espérons que cette raison de leur insuccès, comparé au triomphe de l'ultime aventure de Wolverine à l'écran, ne passera pas inaperçu la prochaine fois.

Szalinowski
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le 12 avr. 2020

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