Babylon Berlin
7.4
Babylon Berlin

Série Das Erste (2017)

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Guten Morgen Berlin, du kannst so schön schrecklich sein...

N'ayant jamais lu aucun des polars à succès de Volker Kutscher, je n'ai pourtant pas attendu la bande-annonce très réussie de ce qui était alors annoncé comme "la série allemande la plus chère et la plus ambitieuse de tous les temps" pour être excité à l'idée de visionner ce Babylon Berlin signé Sky Deutschland, puisque j'ai eu la chance d'assister à une partie du tournage lorsque je vivais dans la capitale allemande !


Laissez-moi vous dire que la débauche de moyens était effectivement assez conséquente, pour ainsi transformer l'Alexanderplatz, cœur touristique de la ville, en son équivalent bondé de figurants en costume et de boutiques aux enseignes typiques des années 20, recréation d'autant plus impressionnante de minutie qu'elle se basait sur des photos d'époque. Des krimis à bonne réputation Outre-Rhin + une reconstitution stupéfiante que j'ai vu de mes propres yeux = ich war drin, j'étais embarqué.


Résultat, huit épisodes plus tard ? Eh bien… la promesse a tenu ! Sur sa première saison Babylon Berlin est une réussite complète, tant sur la forme que sur le fond.


Pour ceux n'étant pas familiers avec l'un des plus gros phénomènes littéraires du pays de Bertolt Brecht ces dernières années, Babylon Berlin est donc basée sur Le Poisson Mouillé, premier roman de la série de polars signés Volker Kutscher et centrés sur le personnage de Gereon Rath, inspecteur de police originaire de Cologne qui se retrouve à enquêter sur une sordide affaire de pornographie dans le Berlin du Blutmai de 1929, le "Mai sanglant" qui ébranla sérieusement la République de Weimar et mit en place les fondations de la dérive brune qui n'allait pas tarder à balayer le pays puis l'Europe…


Les vingt premières minutes du pilote suffisent pour se rendre compte que l'énorme budget de Babylon Berlin est bel et bien sur la table, tendance qui ne se démentira pas jusqu’à la dernière minute du dernier épisode. Le travail de reconstitution est effectivement à couper le souffle, et je ne parle pas seulement de l'Alexanderplatz : chaque ruelle obscure, chaque bureau de police, chaque bar malfamé, chaque club huppé vient à la vie comme si nous étions littéralement plongés dans le Berlin de l'époque, univers sublime, glauque et excitant si jamais il en fut ; les fans de Blade Runner y trouveront leur compte !


À ce titre, je me dois également d'insister sur l'apport de la photographie, tout simplement magnifique. Ce qui est amusant, c'est qu'au début je me disais que la série aurait gagné à être tournée en noir et blanc, pour faire le lien avec les photos de l'époque mais aussi avec la série mythique Heimat ou encore le célèbre roman graphique de Jason Lutes se déroulant au même endroit à la même période. Mais j'ai vite changé d'avis à la vue des différentes teintes de gris, de jaune ou de rouge selon les lieux et les situations, qui donnent tellement de relief à l'histoire et à son environnement.


Le piège des programmes en costume est souvent de tomber dans le guindé, dans le statique – plus d'une série britannique pêche dans ce domaine, notamment. Mais pas celle de Tom Tykwer, grâce à une mise-en-scène très moderne et énergique, jonglant avec expertise d'une intrigue à l'autre et jouant énormément sur les codes-couleurs et le montage pour les différencier les unes des autres, de sorte que chacun semble apporter quelque chose de nouveau tout en faisant partir d'un grand tout.


Avec autant de tiroirs dans ce récit, ce n'était pas chose aisée, mais l'équipe technique de Sky Deutschland sait faire preuve d'audace et voit les choses en grand : ainsi de la manifestation du Premier Mai, incroyablement épique et oppressante tout à la fois, de la fusillade du Moka Efti, digne des meilleurs films de gangsters, et surtout, surtout, de la soirée au club du même nom, où des centaines de figurants en transe dansent au son de la superbe chanson "Zu Asche zu Staub" ; je n'arrive même pas à me souvenir de la dernière fois où j'aurais vécu une séquence si hypnotique, si immersive qu'elle en devient hallucinogène.


Pourtant, Babylon Berlin n'est pas juste une série très chère qui a de la gueule ; le fond n'a pas grand-chose à envier à la forme. L'intrigue principale en soi n'est ce qu'il y a de plus intéressant et je l'ai perdu de vue plusieurs fois ; comme dans le vrai Berlin, ce sont ses habitants qui font son charme, plus encore que ses murs. Or la galerie est ici particulièrement riche : commençons donc par Gereon Rath, poisson hors de l'eau et "mouillé" selon le titre du roman, vétéran de la Grande Guerre et souffrant d'obusite, flic intègre mais beaucoup moins gommeux et moraliste qu'il n'y parait. Il fallait un acteur de la trempe de Volker Bruch, révélé par Unsere Väter, Unsere Mütter (Generation War en "français", grrrr), pour apporter chaleur, humanité, peur et torture moral à ce héros pas loin de l'antihéros.


Que dire de Liv-Lisa Fries dans le rôle de Charlotte Ritter, jeune femme moderne sans être caricaturale – eh Hollywood, prenez des notes, voilà comment on écrit un personnage féminin et féministe sans tomber dans de la propagande moralisatrice – qui secoue bien des clichés de l'héroïne classique ? Sœur dévouée et enquêtrice pétillante le jour, prostituée de luxe la nuit, Charlotte nage elle aussi constamment entre deux eaux, et il n'est pas un aspect de sa personnalité aussi attachante que complexe que mademoiselle Fris ne joue pas avec la perfection, avec son mélange de candeur enfantine et de froide détermination. Meine Damen und Herren, eine Star wird geboren.


Tout le cast est fantastique – le vétéran Peter Kurth en flic corrompu, fascisant, brutal mais néanmoins sympathique, ce qui en dit long sur le talent de son interprète, Leonie Benesch en provinciale naïve débarquée dans la capitale, Waldemar Kobus en pharmacien lubrique, Matthias Brandt (fils du chancelier Willy Brandt, ce qui donne encore plus de crédit à son interprétation) en juge d'instruction incorruptible, Jördis Triebel en fille spirituelle de Rosa Luxemburg… je ne vais pas tous les citer, mais ils sont tous parfaits.


Je me rends bien compte que je ne suis pas objectif du tout dans mon coup de cœur pour Babylon Berlin, ayant vécu dans cette ville et l'aimant plus que toute autre. Mon expérience personnelle me permettait de m'y retrouver dans tellement de plans (et même de reconnaitre le barman du Tausend Bar, dans son propre rôle!) mais je ne pense pas qu'il faille avoir vécu à Berlin pour apprécier tout ce que la série a à offrir, surtout lorsqu'elle semble refléter notre propre monde déboussolé, où les classes modestes souffrent dans l'indifférence pendant que nous… faisons la fête, et que le pouvoir instrumentalise les extrêmes.


Pour finir : dire que pendant longtemps, "série allemande" était pour moi synonyme d'ennui et de kitsch, entre Derrick, Tatort et SOKO Stuttgart ; je peux dire que quelques mois après le génial thriller Dark de Netflix, ce cliché a vécu. Qui sait, je pourrais même bientôt donner sa chance à la nouvelle série historique que Sky Deutschland, décidément déchainé, a récemment tourné à La Rochelle, et qui se trouve être le remake d'un de mes films préférés… si le niveau est le même que sur Babylon Berlin, alors il se pourrait bien qu'après tout, Das Boot n'ait rien de la galère attendue !


MISE À JOUR APRÈS VISIONNAGE DE LA SAISON 2


(Soupir)... Babylon Berlin vient donc rejoindre la longue de liste des séries ayant sérieusement accusé le coup dès leur deuxième saison. Le résultat n'est pas catastrophique, notamment grâce aux acteurs totalement investis dans des personnages décidément si fascinants qu'ils semblent s'écrire d'eux-mêmes, mais la perte de qualité n'en est pas moins palpable.


C'est le rythme de ce Staffel II qui est son plus gros problème : là où la première saison, malgré un format limité à 8x45, prenait son temps pour développer les personnages et l'intrigue, la deuxième va trop vite et part dans tous les sens... tout en négligeant plus de personnages (Kardakov ? Krajewski ? Le docteur Schmidt ?) qu'elle n'en introduit de nouveaux ! Et malheureusement, l'arrivé de sa belle-soeur/maîtresse Helga et de son neveu/fils Moritz ne fait guère avancer le schmilblick du commissaire Rath. Ce dernier déclarait tourner le dos à son passé francfortois dans l'épisode 8, pourquoi ne pas s'y tenir ? Ce n'est d'ailleurs jamais une bonne idée de commencer une nouvelle saison quelques jours à peine après la fin de la précédente - on a l'impression de regarder un épilogue et non un nouveau chapitre.


Les scénaristes ne sont hélas pas les seuls à pointer du doigt : la production et la mise en scène en prennent aussi un coup, car l'argent a été investi aux mauvais endroits, notamment dans des séquences assez grotesques et bling-bling (l'avion, la voiture immergée, le train... les véhicules réussissent moins à Babylon Berlin que les bars et les clubs) qui durent une éternité et m'ont fait lever les yeux de consternation.


La gestion de ses multiples arcs narratifs laisse beaucoup à désirer, mais au moins l'épisode 16 promet-il de belles choses pour la suite... espérons juste que Babylon Berlin retrouve la sérénité et l'écriture intelligente qui faisaient sa force.


Saison 1 : 10/10
Saison 2 : 6/10

Szalinowski
8
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le 11 avr. 2019

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Szalinowski

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