Spécial, intriguant, grave, fort... C'est ainsi que l'on peut qualifier le premier long-métrage de Ryan Gosling, sorti ce mercredi en salles. Pour parler de ce film, il faut avant tout noter que celui-ci a rencontré en 2014 un puissant déni à Cannes, et n'a pas été projeté aux États-Unis en conséquence. C'est donc avec une distribution limitée qu'est sorti ce film pourtant novateur dans l'Hexagone.
Il est difficile de décrypter toute la complexité de ce film, tant celui-ci est intense et calme à la fois… Lost River réussit tout d'abord à montrer le vide et l'absence de manière tout à fait surprenante à travers des images de la ville désertifiée de Détroit, cité qui fut jadis une grande ville des Etats-Unis, à l'abandon depuis quelques années. C'est visiblement cet aspect de « ville-fantôme » qui a intéressé Gosling pour le monde dévasté par une malédiction du film. Cette absence, puissante, témoigne d'une trace de la vie, désormais au point mort, qui n'est pas sans nous rappeler les travaux d'Yves Marchand et Léon Meffre (The Ruins of Detroit), une série de photographies de Détroit illustrant le délaissement rapide de cette ville. Gosling réussit à retranscrire ce vide urbain, cette sensation de silence et cet aspect fantomatique.



Tout le film dénote de la déchéance humaine, à travers les
derniers habitants de la ville, les survivants...



Une déchéance qui s'installe jusque dans les décors (comme on peut le voir dans la salle où se situe la grand-mère), mais aussi dans les personnages, confrontés à leur destin en face duquel ils ne peuvent rien faire : on peut constater ce phénomène en l'occurrence avec le personnage de la grand-mère, enfermée dans une salle sombre et exiguë, devant une télévision où sont diffusées des images de son passé, et qui ne bouge pas, même quand la maison brûle. La vie disparaît au-fur-et-à-mesure que les minutes s'écoulent, la fumée et le feu recouvrant de plus en plus le cadre, l'obscurité relayant la vie et les personnages, comme on peut le voir lors de l'incendie : les braises sont filmées avant que l'on voit la maison qui brûle. Cette fatalité liée à une malédiction que l'on retrouve dans de grands films comme Autant en emporte le vent, film qui lui aussi utilise des contrastes dans les couleurs iconographiques.
Mais le film ne s'arrête pas là. On peut en effet constater l'immense effort apporté à la lumière ainsi qu'aux couleurs, oscillant entre teintes sombres et couleurs vives et colorées. C'est notamment lors des scènes dans le « bar » que cela est le plus frappant, entre rouge et noir, séquences où il est bon d'apprécier l'hommage à Elephant Man de David Lynch, avec un peuple qui se délecte à regarder le malheur d'autrui (les femmes qui se mutilent devant eux). Si ce film est clairement novateur, il n'est pas mis à l'écart qu'il pourrait être défini également comme un film surréaliste à l'effigie de Luis Bunuel dans Un Chien andalou, avec le découpage d'une partie du visage de la femme (comme le découpage de l'oeil à l'aide d'un rasoir chez Bunuel), similarité qui se retrouve dans la volonté identique d'une esthétique filmique qui se veut différente, marginale.
Toutefois, nous ne ferons pas que des éloges à cette œuvre de Ryan Gosling. Le film en lui-même est tiraillé par plusieurs failles, qui, certes ne lui font pas perdre de la valeur, mais bloquent sa compréhension. Il s'agît notamment du manque net de fil conducteur. En l'état, le film est trop abstrait, possède des lacunes concernant l'histoire, ce qui mène à des moments quasiment incompréhensibles, à des longueurs. On ne peut malheureusement pas nier l'histoire dans un film… Ce qui peut également poser problème réside dans les dialogues, peu convaincants et filmés de manière trop classique. Enfin, comment ne pas constater que le film aurait peut être gagné à être moins long…
Mais Lost River est avant tout une œuvre qui bascule les règles classiques, casse l'ordinaire, à l'instar des plans filmés à la verticale dans les couloirs à la fin du film. C'est également l'art de lier la simplicité des plans à la complexité des images à travers l'esthétisme très inspiré d'un long-métrage aux influences novatrices et surréalistes. Et cela malgré une histoire quelque peu décousue et des éléments inintelligibles.

Ombre-noire
7
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le 27 avr. 2015

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