Quatre ans après la sortie de Drive (2011), film évènement qui l’avait propulsé à des sommets, l’acteur américain Ryan Gosling, revient aujourd’hui sur le devant de la scène, avec Lost River, mais pour la première fois en tant que réalisateur. Un pari risqué, qui aurait pu lui coûter cher, mais qui semble avoir été gagnant, lorsqu’on y regarde de plus près.


Pour son premier long-métrage, il a mis toutes les chances de son côté : casting sophistiqué, équipe technique renommée, décors naturels impressionnants, format cinémascope, et surtout, compétition au festival de Cannes 2015, dans la catégorie « un nouveau regard ». Au même titre qu’Emma Stone, Ryan Gosling est un « sex symbol » controversé. Certains, ou plutôt certaines, le trouvent magnifique et génial, tandis que d’autres, le trouvent inexpressif et sans intérêt. Nombreux étaient donc celles et ceux qui attendaient ce film, pour soit confirmer son talent, soit prouver ses défauts. En définitive, le public est mitigé mais se révèle plutôt en faveur du réalisateur.


Lost River est un thriller fantastique prenant place dans un environnement sauvage et délabré. Il a été tourné à Détroit dans le Michigan - comme le récent It Follows (2015) de David Robert Mitchell - dans une zone très affectée par la crise financière, et dont le potentiel cinématographique, avait soi-disant été repéré depuis longtemps par le réalisateur. C’est l’histoire simple et compliquée à la fois d’une mère démunie et de ses deux enfants, qui vivent sur des terres abandonnées, mystérieuses et hostiles, et qui doivent, sous peine d’expulsion, payer au plus vite leur loyer.


Premier constat, cet univers, presque post apocalyptique est très dépaysant. Il fait penser à des films emblématiques, comme La Balade Sauvage (1973) de Terrence Malick, pour la verdure et le caractère très ingénue du couple d’adolescents ; Mad Max (1979) de George Miller, pour cette folie ambiante qui menace de se manifester à chaque instant ; Une Nuit En Enfer (1996) de Robert Rodriguez, le repère de vampire sanguinaires rappelant le théâtre gore de Lost River ; Mulholland Drive (2001) de David Lynch, pour la complicité entre ses deux actrices face à un non-sens général ; 28 jours plus tard (2002) de Danny Boyle, pour ce sentiment d’incompréhension et d’exposition au danger etc. Dès les premières images de ces quartiers en ruines, de cette rivière sauvage, et de cette nature qui reprend le dessus sur la civilisation, on est immergé dans un imaginaire très original qui donne immédiatement envie d’en voir plus. On restera malheureusement un peu sur notre faim. Tous les décors naturels sont vite oubliés, dépassés, au profit d’une mise en scène très artificielle et aseptisée. Cette dernière frise parfois l’exagération, voire même la parodie de Nicolas Winding Refn, réalisateur de Drive (2011) et mentor de Ryan Gosling. Impossible par exemple de ne pas sortir du récit à la vue de ce couloir violet filmé au ralenti à 90°. On sait que c’est un film d’auteur Ryan, inutile d’insister.


Le scénario est original, et annonce quelques belles perspectives : les relations entre la nature, la folie, le deuil, le gore, la maternité, la pauvreté… Mais lui aussi, se replie assez vite sur lui-même. Il se contente de nous montrer des images bizarres (la vieille dame, le coquillage, les ciseaux) et nous faire partir sur des fausses pistes (la relation œdipienne entre la mère et son fils, l‘univers freak, le chauffeur, le bébé) au lieu de répondre aux questions qu’il semblait vouloir traiter. En fin de compte, le spectateur, qui a l’impression de manquer quelque chose, consacre sa projection à effectuer un décryptage, dont il se rend compte à la fin de son côté vain. Voilà pourquoi il oublie presque l’histoire aussitôt la séance terminée. Peut-être que le film aurait dû s’affirmer plus comme une expérience visuelle que comme un récit fictionnel, au moins il n’aurait pas été dans cet entre-deux maladroit.


Les acteurs sont pourtant efficaces. La performance de la mère, Christina Hendricks (Billy), est impressionnante. Les deux adolescents, Iain De Caestecker (Bones) et Saoirse Ronan (Rat) sont parfaitement crédibles dans leur rôle. Le petit garçon, en plus d’être très pittoresque, est très attachant. L’horrible brute qui terrorise le voisinage, Matt Smith (Bully), est très réussie, et très effrayante ; c’est une excellente idée d’avoir pensé à un acteur comme lui, d’ordinaire si calme et élégant (Doctor Who) pour l’incarner. Réda Kateb (le chauffeur de taxi humaniste) est véritablement touchant. Le reproche que l’on pourrait faire à tous les acteurs concerne leur psychologie, presque inexistante. Tout comme leur expressivité. Gosling semble les avoir tous fait rentrer dans son moule personnel, ce qui finalement met le spectateur plus à distance qu’autre chose, et empêche toute possibilité d’identification. Heureusement, le film ne dure pas longtemps, sans quoi ce défaut serait devenu trop apparent, et aussi insupportable que dans Inherent Vice (2015) de Paul Thomas Anderson : 2h30 d’exaspération devant des personnages totalement décalés.


Les prises de vues de Benoît Debie, à qui l’on doit celles d’Enter The Void (2010) de Gaspar Noe et de Spring Breakers (2012) d’Harmony Korine, sont remarquables. Elles nous donnent à la fois le sentiment de léviter et de caresser ce qui nous entoure, dans un cocktail sensoriel fantastique. La scène finale est par exemple très intéressante dans son conflit des quatre éléments. Le montage alterné rapide, rend compte de l’opposition entre le feu (Bully), la terre (Rat), l’eau (Bones) et l’air (Billy). Cependant, ce style manque de souplesse, et les travellings, très « rigides », freinent notre capacité d’immersion dans l’image. Comme la musique, presque binaire de Johnny Jewell, qui ressemble énormément à celle entendue dans It Follows (2015) sans pour autant l’égaler.


La tombée brutale et déconcertante du générique, point final du film, remet elle aussi en question la subtilité du réalisateur Ryan Gosling.


Malgré tout, saluons quand même cette œuvre. Ce n’est que le premier film de Ryan Gosling, qui n’a que 34 ans. Le résultat est globalement encourageant, et le spectateur passe plutôt un bon moment. Quel acteur d’Hollywood peut prétendre avoir réuni une telle équipe de tournage et avoir produit de telles images pour un premier film ? Le soldat Ryan est sauvé cette fois ci, mais nous serons plus exigeants la prochaine fois !

AxelFossier
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le 4 mai 2015

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Axel Fossier

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