L’année 2015 est décidemment celle des blockbusters ! Fast and Furious 7 ; Mad Max Fury Road ; Jurassic World ; sans oublier les deux énormes productions de Disney : Star Wars Le Réveil De La Force, et en ce moment sur les écrans, Avengers L'Ère d'Ultron. Sorti le 22 avril 2015, ce deuxième opus a couté 250 millions de dollars. Une somme astronomique qui a permis à la franchise Marvel de se hisser parmi les dix films les plus chers de tous les temps (un classement dominé par Avatar (2009) avec 387 millions de dollars).


Ce budget très important s’explique tout d’abord le casting très imposant du film : Robert Downey Jr (Tony Stark / Iron Man) ; Chris Evans (Steve Rogers / Captain America) ; Mark Ruffalo (Bruce Banner / Hulk) ; Chris Hemsworth (Thor) ; Scarlett Johansson (Natasha Romanoff / la Veuve noire) ; Jeremy Renner (Clint Barton / Œil-de-faucon) ; Samuel L. Jackson (Nick Fury) ; Aaron Taylor-Johnson (Pietro Maximoff / Vif-Argent) ; et tous les acteurs, secondaires ou figurants, qui renvoient à l’ensemble des œuvres Marvel. Les coûts gonflent encore avec la phase de postproduction démesurée : 3000 plans contenant des effets spéciaux ; 7 à 12 sociétés spécialisées impliquées dans leur élaboration ; et le recours à un nouveau système de capture mouvement appelé « Muse ». Enfin l’addition s’explique par le format d’image utilisé, digne des plus grands réalisateurs mégalomanes : l’IMAX 3D.


Avec cette formule hors-norme dite à « très grand spectacle », le producteur Kevin Feige et le réalisateur Joss Whedon, souhaitent réitérer leur exploit de 2012, lorsque Avengers, premier du nom, immense succès populaire à l’époque, avait rapporté 1,5 milliard de dollars à travers le monde.


Au niveau du scénario, la structure reste classique. Les super-héros Marvel doivent unir leur force une nouvelle fois, pour combattre un ennemi tout puissant qui menace d’anéantir l’humanité. Son nom, Ultron : Un colosse d’acier doté d’une intelligence artificielle qui ne conçoit la rédemption que dans l’extermination. Même si le schéma narratif semble se répéter (l’armée d’extraterrestres laisse place à une armée de robots), la première partie du film est encourageante. C’est à partir de la deuxième moitié que l’on commence à le trouver un peu déplorable.


Commençons par l’un des points positifs du film : Ultron est un méchant appréciable. Sa conception, son réveil et son face-à-face avec Jarvis, l’autre entité informatique, dans le laboratoire de Tony Stark, ont quelque chose de fascinant : introspections 3D magnifiques, retournement rapide de situation, bras de fer virtuel entre les deux, etc. Son design, proche de celui des sentinelles de X-men Days of Future Past (2014), est impressionnant. Et son point de vue nihiliste, qui rappelle un peu celui d’Ozymandias dans Watchmen (2009), ou de Bane dans The Dark Knight Rises (2012), est intéressant.


Ultron, au sein de son ambiguïté, remet en question la figure du justicier. Il critique son code d’honneur, ses intentions morales, et laisse entrevoir ses failles. A plusieurs reprises le spectateur est ainsi amené à douter du crédit à accorder aux super-héros Marvel, manipulables et contradictoires : Ironman et Hulk se livrent un combat titanesque, puis plus tard sont ensemble contre tous les autres membres, La Sorcière Rouge et Vif Argent changent de camp, et tous les Avengers réunis livrent une guerre sans merci à celui qui se prétend être « Le Sauveur ». Cette fragilisation de l’icône salvatrice est d’ailleurs le thème principal de la production DC Comics à venir, Batman v Superman L’Aube de la Justice, prévu pour 2016, qui laisse apercevoir dans son teaser une image symbolique, celle d’un graffiti « false god » sur une statue de Superman.


Le mythe est fragilisé, et c’est là une nouvelle épaisseur de réflexion que nous propose Marvel.


Ultron incarne une punition divine, un châtiment sans appel qui s’abat sur des hommes devenus vaniteux à force de s’attribuer des responsabilités qui ne sont pas les leurs, comme la défense de l’humanité. Cette thématique est caractéristique des tragédies antiques, pleines de récits épiques, mêlant actions et sentiments, et à l’image du générique de fin, très stylisé, qui remet en scène la bataille contre Ultron sous forme de sculptures en marbre. Ce parallèle mythologique, entretenu tout au long du film, avec notamment le « Deus Ex Machina » (intervention divine censée dénouer le récit) de « La Vision », est très astucieux, et démontre la capacité des grosses productions hollywoodiennes à mettre en scène avec talent les grands mythes de l’humanité.


Le récit se décentre des Etats-Unis, avec des tournages extérieurs effectués aux quatre coins du monde, et plus seulement au croisement d’un carrefour new-yorkais, dont dépendait la survie de l’humanité dans le premier volet. L’action prend place successivement en Italie, au Bangladesh, en Afrique du Sud, en Angleterre et en Corée du Sud. Les scènes de « Bullet Time » (ralenti extrême) sont nombreuses et spectaculaires ; les plans de « switch », façon jeu vidéo, abondent entre les différents protagonistes, qu’ils soient au volant (voiture, moto, vaisseau) ou en plein corps à corps ; les scènes de destruction de l’environnement sont impressionnantes. La meilleure séquence du film reste la démonstration de l’armure « Hulkbuster » à Johannesburg, dont découle un combat complètement improbable mais extrêmement jouissif.


Malgré ces côtés positifs, la plupart des scènes reste fade. La musique originale, composée par Brian Tyler, est un peu faiblarde, mais surtout, le montage, très imparfait, nous déconnecte sans cesse du récit. Il semble que chaque plan ait été coupé presque une seconde trop tôt. On perd en rythme, en lisibilité, en spectacle. Pourquoi ? Du fait de la Production. Le réalisateur a raconté avoir dû réduire le film à 2h30, alors qu’il était initialement prévu pour durer 3h20. Un gâchis qui ne passe pas inaperçu, et qui est hélas récurrent, lorsque des réalisateurs ambitieux doivent plier devant les studios. Un contre-exemple notable existe cependant avec Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux ; King Kong ; Le Hobbit) qui depuis 15 ans est pourtant acclamé pour ses films fleuves.


Le scénario exploite la menace de l’informatique toute-puissante, thème très à la mode en ce moment - avec des films comme Transcendance (2014) ; Citizen Four (2014), qui reçut un oscar ; et dernièrement, Hacker (2015). Le thème est cependant sous exploité et n’est qu’un prétexte pour empiler des images de synthèse. A plusieurs reprises les personnages évoquent avec frisson l’accès aux codes nucléaires, à leurs informations personnelles top secrètes, et l’utilisation malveillante d’internet, comme source infinie de savoir et de pouvoir, mais pourtant, rien n’est montré et rien ne se réalise. Une faute scénaristique qui affaiblit la puissance présumée d’Ultron, lequel se retrouve cantonné alors dans un rôle de maxi-robot façon Transformers.


Les dialogues sont tout aussi faibles. Ils constituent même sans doute le défaut principal du film. Au-delà des successions de blagues habituelles qui dédramatisent abusivement le récit, Marvel œuvre dans le grotesque lorsqu’il essaye au contraire de rendre ses personnages plus sérieux. Leur jargon scientifique est incompréhensible, ou alors complètement ridicule, lorsque simplifié ; il n’y a pas d’entre-deux. Les interventions de Captain America, qui exige qu’aucun gros mot ne soit prononcé par l’équipe, font passer les Avengers pour des pré-adolescents coachés par un moniteur de colo. Un vœu que le scénario s’ingénie à rompre tout aussi lourdement lorsque notre héros jure en apercevant le vaisseau du Shield à la fin du film. Oh, non ! Ne parlons pas du Shield, par pitié : Nick Fury est l’ambassadeur de ce cirque général. Son look et chacune de ses répliques sont de purs nanars. On croyait s’en être débarrassé mais il revient, scène après scène : « sergent regardez-moi dans l’œil »…


Le film, presque ringard avant l’heure, souffre aussi du tournant sentimental que sa direction lui a fait prendre. Sans qu’on ne le soupçonne, L'Ère d'Ultron regorge de sous-intrigues mélos : les flirts incessants entre Natasha Romanoff et Bruce Banner ; le traumatisme des jumeaux qui remonte à l’enfance ; l’angoisse existentielle d’Ironman qui perdure depuis 2012 ; les projets familiaux de Œil de Faucon, etc. En somme, des histoires de cœur de téléfilms, parce que mal jouées, sans subtilité, et inappropriées. Le personnage qui en pâtit le plus, c’est Natasha Romanoff. Tantôt nunuche, allumeuse ou mégère (« en avant mon héros » ; « on a perdu une occasion de prendre une douche ensemble » ; « faut toujours que je passe derrière vous les gars »), on est consternés du machisme des scénaristes. A l’inverse, Œil de Faucon est celui qui s’en sort le mieux, peut-être aussi parce qu’on en apprend beaucoup plus sur lui. Même s’il habite La Petite Maison dans la prairie et que ses valeurs puritaines de bon père de famille sont très « cliché », il démontre une vraie humanité face à l’adversité. C’est à son honnêteté que le film doit sa meilleure réplique : « je suis au milieu d'une bataille avec une armée de robots, et mon seul pouvoir, c'est un arc : ça n'a pas de sens. » Merci à Marvel pour cette auto-critique sympathique.


Au-delà de ces gros soucis scénaristiques, le film peine à trouver son identité, et agace par ses directives trop visibles. Pendant les scènes de la soirée et des hallucinations, force est de constater que le contenu n’est qu’une promotion maladroite de toutes les franchises individuelles qui la constituent. Ce parti pris des « clins d’œils » et des « caméos » (démarche paresseuse en soi) prive une grande partie des spectateurs de certains plaisirs du divertissement. Comment espérer ainsi s’ouvrir à un public plus large encore ? Et puis dans ce cas, pourquoi ne pas avoir au moins désigné Vif Argent et La Sorcière Rouge, les deux nouveaux arrivants, par le terme « mutants » (ce qu’ils sont vraiment dans les comics), au lieu de nous parler d’« optimisés » (terme qui ne veut rien dire). Marvel se serait-il tout à coup dégonflé de faire le lien avec X-men, son autre grosse franchise ?


En dépit de tout ce que l’on peut dire, Avengers L'Ère d'Ultron réussit à faire son chemin, ou plutôt, son « autoroute ». En seulement une semaine d’exploitation, et avant même sa sortie aux Etats-Unis, le film a déjà engendré dans le monde, plus de 200 millions de dollars. Un démarrage record, en partie mérité, qui vient conforter le genre des super-héros, pourtant de plus en plus critiqué, les adaptations de comics commençant à lasser les spectateurs. Pourtant les calendriers de sortie des studios, qui s’étendent jusqu’à 2020, indiquent que la tendance n’est pas prête de s’arrêter. Tout ceci annonce peut-être la prochaine révolution du cinéma hollywoodien, bâtie sur un ral-le-bol des blockbusters à effets spéciaux. Enfin, ne nous avançons pas trop et voyons venir avec une certaine fatigue ou impatience la suite. Pour le moment, l’important c’est que votre petit cousin soit content du film qu’il est allé voir en votre compagnie, et qu’à votre retour à la maison, il retourne à ses figurines Marvel, pendant que vous, vous vous régalez avec un bon Kurosawa de 60 ans d’âge.

AxelFossier
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le 4 mai 2015

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Axel Fossier

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