Bold Films serait il le nouvel étendard du cinéma indépendant américain ? Tout porte en tout cas à le croire, compte tenu de la crème que nous propose la société de production de Gary Michael Walters ces derniers mois. Véritablement propulsée par Drive en 2011, difficile ne pas être convaincu par l’inoubliable duo Night Call–Whisplash complété désormais par l’excellent Lost River.


Dans un quartier résidentiel autour de la ville fantôme de Detroit, il reste deux familles plus ou moins forcées à vivre dans une insécurité croissante à l’intérieur de maisons délabrées. D’un côté, Billy est avec ses deux fils dont l’un cherche le moyen d’échapper à cet horrible destin, fruit d’une Amérique ruinée par la crise de 2008. De l’autre, Rat et sa grand mère morte d’esprit subsistent en attendant aussi un éventuel signe.


C’est le premier film réalisé par Ryan Gosling qui n’aura pas attendu longtemps pour se jeter à l’eau. Le beau gosse canadien passe de l’autre côté de la caméra pour un résultat largement en dessus de ses compétences d’acteurs limitées par le terrible syndrome Keanu Reeves dont les symptômes sont la nonchalance extrême et le charisme moulesque. On sent très vite les inspirations de Gosling piochées dans le cinéma de David Lynch mais surtout de Nicolas Winding Refn qui l’a fait naître aux yeux du public il n’y a même pas cinq ans. L’esthétique bluffante de cette première production se range dans la continuité des Drive et autre Only God Forgives avec une maîtrise de la lumière irréprochable sous forme de couleurs néons qui sont une pure jouissance visuelle sur grand écran. C’est une équipe rodée chez Refn qui a assisté Ryan Gosling lors de ce premier film mais il serait dommage de ne pas citer Benoit Debie, le français derrière la photographie.


Dans ce conte pour adulte, le mal et le bien se confrontent sous des formes plus ou moins vraisemblables mais toujours dans le logique de faire naître un univers unique au sein duquel des situations sur le fil du rasoir plongent le spectateur dans une expérience inédite. C’est peu dire que Lost River arrive à surprendre puisque le bizarre plane sur cette ambiance glauque, dangereuse, sans pour autant étouffer tout espoir envers la vie. Le choix de Detroit pour construire une telle atmopshère est brillant, cela donne une part de réalisme au récit qui rapelle ô combien la souffrance, la pauvreté et le Mal se trouve aussi sur le territoire même de la bannière étoilée.


Des habitants qui fuient, un criminalité qui explose, la sensation de danger qui imprègne Lost River explique les comportements totalement insensé des gens du coin. Pour catharsiser la dureté de leur vie, ils passent leurs soirées à s’extasier devant des femmes simulant d’horribles assassinats où l’hémoglobine agit comme un excitant libérateur. Cette sensation de malaise prend son apogée lors d’une danse folle de Ben Medelsohn quand les pulsions violentes se transforment en pulsions sexuelles déviantes. L’enrobage y est pour beaucoup car au delà de son esthétique, la bande son de Lost River est un petit chef d’oeuvre à elle seule. Ces sonorités électroniques, lancinantes et glaçantes rappellent bien sur Winding Refn et complète avec brio ce qu’il se passe à l’écran. Dommage que la fin semble coupée au cutter, on était sur un nuage.


Tout aussi effrayant que teinté de positivisme, le premier film de Ryan Gosling convainc par l’indéniable qualité de sa mise en scène et l’originalité d’un conte mature où le WTF devient salement réel. Chacun pourra comprendre le film d’une manière différente, l’adapter à son expérience personnelle et à sa perception du monde. Peur de quitter ses racines ? Annihilation de la raison ? Allégorie de la destruction ? Bref, de biens grands mots pour dire que Lost River est un très bon film.


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ZéroZéroCed
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le 1 juin 2015

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